Les Champs Libres 10, cours des Alliés 35039 RENNES France
Pierre de Vallombreuse présente au public des images témoignant du lien des cultures autochtones avec notre actualité. En s'appuyant sur des traditions et sur la relation harmonieuse entre l'homme et la biosphère, ces cultures sont dépositaires de savoirs essentiels à la préservation de la biodiversité. Cette exposition s'inscrit plus largement dans le parcours photographique de Pierre de Vallombreuse, Hommes racines : 12 peuples autochtones, 12 environnements, 5 ans de rendez-vous, de rencontres, de découvertes, et de prises de conscience sur le changement climatique.
Les Aymaras
Témoignage de Pierre de Vallombreuse sur sa rencontre avec les Aymaras :
J'ai passé huit semaines en Bolivie. Mon voyage a commencé dans la province "autonomiste" de Santa Cruz, province des basses terres pré-amazoniennes. Cette province est devenue très riche grâce à la production de soja et surtout grâce à l'extraction de pétrole et de gaz. La population y est à majorité blanche, mais on trouve aussi différentes ethnies des basses terres : Guaranis, Ayoreo, etc.
La virulence raciste des blancs, toujours très présente dans l'histoire de la Bolivie, y est à son apogée. Dans la capitale, on parle ouvertement d'Evo Morales comme d'un “fils de pute d'indien”, expression qui englobe également les Aymaras et les Quetchuas, ethnies de l'altiplano, aujourd'hui au pouvoir avec l'élection d'Evo Morales. Dans cette province, des groupes d'extrême droite s'arment et s'entraînent pour le retour de la suprématie blanche.
J'ai poursuivi mon parcours en montant jusqu'à El alto, banlieue de La Paz et capitale Aymara. Contrairement à ce que m'avaient dit les blancs de Santa Cruz, les Amérindiens de l'altiplano, lorsqu'on leur explique les raisons de notre présence et de notre curiosité, sont des gens très ouverts. En effet, je n'ai fait que de belles rencontres, même avec les mineurs du massif montagneux de las Tres Cruzes, pourtant réputés très fermés, violents et méfiants envers les étrangers. C'est là que nous avons fait les plus belles rencontres humaines, ce qui m'a permis de résister physiquement à l'altitude pendant ces 8 jours à travailler et dormir par -10°, entre 4 700 m et 5 500 m.
La seule condition que les mineurs m'aient donnée en échange de leur hospitalité était de revenir les voir. Promesse que je tiendrai.
Comme pour la plupart des peuples amérindiens, il n'y a pas ou peu de documents relatant l'histoire du peuple Aymara. Quelques bribes nous sont parvenues au travers des chroniques qui relatent l'époque de la conquête ainsi que quelques récits précolombiens.
On sait cependant de façon certaine que le peuple Aymara n'était pas le premier à peupler la région du Titicaca et l'altiplano, on se pose donc la question de l'origine de ce peuple. Il y a aujourd'hui plusieurs théories, notamment la théorie localiste qui voudrait que la répartition actuelle de la langue Aymara s'explique par l'essor de quelques communautés des abords du lac en direction de l'altiplano. Une autre théorie situe l'origine du peuple Aymara dans les Andes centrales du Pérou, entre Huarochirí, Yauyos, Cañete et Nazca. Ces régions, actuellement de langue quechua, faisaient autrefois partie de l'aire aymaraphone. Une troisième théorie situe l'origine du côté de la côte pacifique au nord du Chili.
Le peuple Aymara arrive sur les rives du lac Titicaca deux siècles avant notre ère, il concurrence alors les peuplades Uru qu'il remplace peu à peu dans la région.
Développant une culture originale et basant son économie sur le développement de l'agriculture et de l'élevage ainsi que le commerce avec les peuples alentour, le peuple prospère sur les rives bien abritées du lac. S'en suit une période d'expansion, on retrouve de nombreuses traces archéologiques en direction sud-est du lac principalement.
C'est en passant à un stade impérial, on parle de civilisation de Tiwanaku ou Tiahuanaco, que la langue commence à se répandre dans les Andes : on la retrouve sur tout l'altiplano, sur la côte depuis Arica au Chili jusqu'à Lima au Pérou et au sudest jusqu'en Argentine. Atteignant son apogée vers l'an 900 de notre ère, la civilisation impériale Tiwanaku va décliner pour laisser place à plusieurs royaumes et chefferies de langue et culture Aymara. Ce sont ces chefferies prospères mais rivales que rencontrent les Incas lors de leur expansion vers le sud. Parmi celles-ci on connaît les royaumes rivaux Lupaqas et Pacajes situés sur la rive sud-ouest du lac. On ne sait pas exactement si les Aymaras se sont intégrés pacifiquement à l'empire comme le décrit Inca Garcilaso de la Vega ou ont livré bataille à l'Inca.
L'ensemble des peuples de langue Aymara est progressivement intégré au Qollasuyu, le quart sud de l'empire Inca. Après la conquête et la chute du régime Inca, le peuple Aymara passe sous domination de la couronne d'Espagne. Cette période sera parsemée de révoltes paysannes causées par les difficiles conditions de vie des communautés. Au début du XIXe siècle, les Aymaras participent aux combats pour l'indépendance de la Bolivie mais leurs conditions de vie ne seront pas améliorées sous le pouvoir des républiques.
Du point de vue géographique, après la conquête Inca, puis la colonisation espagnole, la langue Aymara perd progressivement du terrain face à l'espagnol et au quechua, langue avec laquelle elle maintient une frontière flottante. Elle reste aujourd'hui enracinée sur les rives du lac Titicaca et dans les zones de peuplement Aymara.
On explique en grande partie la perte de son usage comme langue véhiculaire du fait que l'évangélisation des peuples autochtones par les européens a été principalement faite avec les dialectes quechua et muchik ou mochica. Toutefois, il y eut un déclin significatif du fait de l'indifférence et parfois le mépris des gouvernements jusqu'à la moitié du XXe siècle. Après des années de délibération, le décret suprême 20227-DS du 9 mai 1984 du gouvernement bolivien et aussi la résolution ministérielle 1218-RM du 18 novembre 1985 du gouvernement péruvien donnent un statut officiel à cette langue millénaire. De même, l'alphabet officiel Aymara est reconnu, par force de loi, denominado único. Ainsi, c'est aujourd'hui la langue co-officielle de la Bolivie et du Pérou.
Le contexte géopolitique actuel :
Pour la première fois dans l'histoire des Amériques, et aussi dans le monde, un autochtone, Evo Morales, moitié Quetchua moitié Aymara, est élu à la présidence de la république. Depuis la Bolivie s'est lancée dans un vaste programme de réformes politiques, économiques, culturelles et tente de redonner toute sa place aux populations amérindiennes du pays et de régler le problème des sans terre. À eux seuls les Aymara et les Quetchua représentent environ 62 % de la population du pays. Nous sommes donc dans un pays où les autochtones sont majoritaires. Ces réformes, ainsi que le fait d'avoir un président autochtone provoquent des réactions très violentes de la part des blancs, des métis vivant notamment dans les basses provinces de la Luna média, des départements de Santa Cruz, du Beni, du Pando. Un racisme virulent, doublé par une volonté de ne pas partager les forts revenus issus de l'exploitation du pétrole, du gaz et du soja, entraîne le pays dans une spirale de violence. Les provinces autonomistes parviendront-elles à leur rêve de “séparatisme” ?
Partout dans l'altiplano, à La Paz et el Alto, les Amérindiens, fiers de la reconquête de leur souveraineté, se mobilisent pour garder leur récent pouvoir. Lors du referendum d'août, Evo Morales et le parti socialiste ont remporté une large victoire. Mais peu après, des violences dans les provinces de la média luna ont fait des morts. Nous sommes donc dans une phase particulièrement importante dans l'histoire de ce pays.