Claire Artemyz évoque d’abord pour moi une rencontre, de celles qui mènent à l’étonnement et transforment, en l’occurrence, le regard, la manière dont il se pose sur ce qui nous entoure. Ce qui surprend d’emblée en pénétrant dans son atelier, c’est cette harmonie, cet équilibre audacieux entre un perfectionnisme sans concession et l’espace sans limites octroyé au mystère. Claire Artemyz crée les conditions du mystère ; elle accepte les modifications qu’il entraîne en apprenant à les apprivoiser, sans artifice.
Comme un metteur en scène, elle organise le moindre détail de chaque scène, méticuleusement, observe les comédiens, explore les différentes mises en lumière pour décider, dans l’instant et l’instinct, quel est le moment de capturer l’espace et le temps, ce moment aussi furtif qu’éternel. Il n’y aura pas de deuxième prise ; aucun essai, uniquement des répétitions avant la représentation unique de son point de vue assumé. Dans le monde de Claire, Photoshop n’existe pas et cette sincérité absolue dans son rapport même à la photographie m’a tout de suite séduit car elle implique une audace intemporelle qui consiste à affronter la réalité, à la réinventer sans cesse en la sublimant. Le sujet en tant que tel reprend sa place. Il n’est pas obsolète ou incompatible avec une revendication de contemporanéité. L’œuvre de Claire est évidemment contemporaine car Claire pose un regard contemporain sur l’humanité.
« J’ai ressenti le besoin, à un moment donné, de passer d’une dimension métaphorique à une dimension du réel ». Claire ne se contente pas de saisir le réel, elle le pénètre, en exploratrice ; chacune de ses photographies est un recommencement, anéantissant nos repères, bousculant nos certitudes en nous confrontant à cette évidence : la réalité ne se cacherait-elle pas justement dans tout ce que nous ne voyons pas et que nous croyons pourtant connaître ? Finalement, ne s’agirait-il pas de s’interroger sur notre façon de regarder les choses, de les appréhender, de les qualifier ou non de détails ?
« Bestiaire »
C’est précisément le détail qui retient l’attention de Claire et c’est pourquoi elle s’est tout naturellement tournée vers la technique de la macrophotographie. « L’intérêt de la macrophotographie est de se situer aux confins de l’identifiable ».
Son thème central est la question de l’enveloppe en tant que support de l’identité : « J’ai souhaité photographier le corps lui-même, le corps de près, son enveloppe, la peau et la blessure. La peau est la première enveloppe de la personne, qui nous constitue sujet en nous séparant du monde ». Dans sa quête de se rapprocher de la chair, Claire a été amenée de manière inattendue à pénétrer l’univers à part du tatouage -cette blessure non accidentelle, hors de tout traumatisme- et les circonstances de cet acte de modification corporelle : « J’ai découvert une dimension de beauté dans la blessure de la peau, le corps qui réagit à l’intrusion de l’objet (aiguille ou lame), l’exsudation des fluides par la brèche ainsi créée ».
Ainsi se sont dessinés les « Body Landscapes », ces paysages corporels nés du processus de modification, instants éphémères presque invisibles capturés au moment même de la transformation, cette « réécriture de soi » : « Le tatouage est l’histoire d’une naissance qui affleure à la peau. Cette naissance est le fruit de la rencontre entre la peau et l’encre, par l’action de l’aiguille du tatoueur. Par son art, le tatoueur préside à cet acte qui signe pour la personne une nouvelle identité ».
La série « Affleure de peau » regroupe ces paysages nés de l’exploration de l’enveloppe corporelle comme lieu d’identité.
Avec « Snake 11 », un serpent noir, luisant, semble glisser agilement le long d’une pente presque neigeuse, déplaçant sur son passage quelques particules légères, dans une pénombre étrange. L’encre n’est dès lors plus uniquement ce liquide sombre mais devient un animal imaginaire et la peau une terre pure au sol inexplorée.
Claire n’a nul besoin d’user de provocation ou de violence pour nous attirer dans son univers. Le tatouage est envisagé en tant qu’acte de réappropriation du corps et de redéfinition de l’identité. Le choc naît de l’inconnu dans lequel nous entraînent immédiatement ses œuvres.
Nous sommes devant des sujets qui nous sont familiers et pourtant chacune de ses photographies représente un ailleurs qui efface tous nos référents. Le sang se fait rubis serti de diamants que la « Lumière » fait scintiller ; la beauté s’immisce là où nous n’imaginions que la peur. L’esthétique pure nous prive des filtres confortables que représentent les facteurs culturels et sociaux sur lesquels nous avons l’habitude de construire nos jugements pour nous confronter à l’abstraction. La violence est sans doute alors dans notre constat d’ignorance.
Claire est ainsi en perpétuel mouvement ; plus elle se rapproche de son sujet, plus son exigence grandit. Cet entêtement à saisir l’invisible lui permet de construire une véritable histoire dont la série des « Body Landscapes » fut l’un des déclencheurs, une histoire qu’elle n’a cessé d’enrichir depuis et dont nous attendons impatiemment la suite, sans dénouement.
« Heart »
EXPOSITIONS RECENTES
Exposition personnelle : « Body Landscapes », « Eclipse » & « Affleure de peau », 2008
Vanilla Gallery, Tokyo (février)
Exposition collective : « Art on human canvas », 2008
MOCCA, Toronto (juin)
Exposition collective : « Je te présente mon corps », 2008
La Rochelle (septembre)
Exposition personnelle : « Body Landscapes », 2007
Galerie Kennory Kim, Paris 3e (juin-juillet)
Exposition et projection : « Affleure de peau », 2006
Weird Factory, Avignon (mars)
Sign of Liberty Gallery, Berlin (août-septembre)
Exposition personnelle : « Les lieux blessés », 2006
Mairie du 4e arrondissement, Paris (avril)
Exposition collective : « Admission by invitation », 2006
Tom Christoffersen Gallery, Copenhague (octobre)