Mois de la photo 2008
Espace Univer 6 cité de l'ameublement 75011 Paris France
Thierry Cohen fut, à la fin des années 80, l’un des premiers à utiliser en France le numérique dans son travail. S’il choisit aujourd’hui un sujet qui a ses références dans l’art de la photographie classique, le portrait d’enfant, celui-ci est d’une autre dimension quand y paraît le cœur de sa propre technique. Sur de purs visages abordés frontalement sont en effet inscrites les cartes des circuits et des composants électroniques qui les constituent. Le photographe, à partir d’un aléatoire primaire, travaille ces surimpressions pour obtenir des effets de transparence mariant l’abstraite réalité des nombres prenant corps en des représentations où la présence individuelle semble du coup relativement effacée.
Cependant diverses corrections discrètes, géométriques et optiques – prolongement effilé d’une carte pour souligner une ligne, recherche d’une symétrie à l’aide des points de soudure, d’un gommé sur une coiffure grâce aux micro-processeurs, d’un flou obtenu par les circuits imprimés – équilibrent par leur sensible souci de précision créative la neutralité des déterminations et rend aux modèles les chances d’une personnalité particulière. C’est la condition, à la fois élémentaire et subtile, pour que ces photographies délivrent leur sens le plus riche, à la fois propre et métaphorique.
Car bien entendu des portraits d’adultes pourraient témoigner des mêmes déterminations de base. Il y manquerait la prospective, suggérée en abyme discret et sensible, touchant l’avenir d’êtres plus exposés à la techno-informatique des réseaux. Face à l’ordinateur, confrontés à des réponses binaires, ces enfants – plus âgés que nous – interrogent : comment évolueront, subsisteront, s’adapteront à l’univers numérique dont ils sont ici marqués, leurs processus de pensée, sens critique, part de libre-arbitre, capacité à rêver ? C’est au risque de ces questions qu’acquiert une profondeur paradoxale et vivante cette autre poétique de la figure humaine.
Nadine Pouillon
L’étrangeté qui émane des photographies de Thierry Cohen est probablement liée à ce qui apparaît d’emblée : des circuits imprimés projetés sur des visages d’enfants, sensibles, iconiques et lisses.
Ces effigies artificielles présentées comme des sculptures dont seuls les regards transmettent encore une étincelle d’humanité, semblent le reflet d’un monde où la personnalité s’efface. Ce sont des " fils d’Adam " soumis à une technologie en mouvement. Le consumérisme, les jeux vidéos, l’ordinateur, les nouvelles technologies, les ont peu à peu abrasés, modelés. Ils s’emboîtent désormais et forment cette entité fragile et sublime, une nouvelle génération.
Thierry Cohen, qui a baigné dans cette explosion de circuits et de composants, présente l’impact de celle- ci sur le monde en général et sur la photographie en particulier. Admirateur des photogrammes et des photomontages des années 20 de Moholy-Nagy, Raoul Haussmann, Umbo ou Man Ray, il produit des portraits numériques atypiques et offre des photographies " inouïes ". Seule l’incrustation apparaît et disparaît pour souligner la pureté des visages de ces enfants.
Perfectionniste, il joue de la matière, de la peau, et du corps comme avec un objet et des objets comme d’un corps. Aujourd’hui, les possibles manipulations de l’image écartent toutes formes d’imperfections et c’est également sur ce plan qu’il faut considérer le travail de Thierry Cohen. Son originalité réside ainsi dans les effets de transparences unissant harmonieusement les traits de l’enfance à ceux du “ corps ” de la machine tout en respectant totalement et sans aucune retouche le portrait original, photographiquement pur.
Nous sommes ici dans une mythologie contemporaine inondée de technologie où l’homme de l’Eden semble se synthétiser en circuits robotisés, ne répondant plus que par un code binaire. Chaque portrait présente un accord parfait entre l’identité visuelle et l’identité sociale défini par ces circuits électroniques. Sans nul doute, Thierry Cohen cherche à dévoiler l’apparence ambiguë des êtres et des choses. L’avenir de ces enfants serait-il dans l’effacement quasi totalitaire des gris au profit du noir ou du blanc, de leurs individualités au profit du formatage imposé par la société ?
Vanessa Stchogoleff