Carré d’Art Nimes Place de la Maison Carrée 30031 Nîmes France
En 1931 paraît La Route Paris Méditerranée, dans lequel Paul Morand s’exclame: « désormais, ce sont les gares et les ports, non les femmes, qui nous remplissent les yeux de larmes », constat mis en image par les photographes Sougez, Kertesz et Germainie Krull tout au long des routes nationales 5,6 et 7. Grâce au développement de l’automobile et des routes, nous pouvons voir défiler d’un seul jet un territoire encore rural et, en une journée, sauter par-dessus la France. Cinquante-sept ans plus tard, Christian Louis, dans son livre « Nationale 7 », se souvient l’époque où cette même route était « la voie des congés payés ». Imprégné de nostalgie et bercé par la douce chanson de Charles Trenet (« tout excité / on chante, on fête (…) l’amour joyeux est là qui fait risette / on est heureux Nationale 7 »), Christian Louis descend tout droit jusqu’à la mer, glanant ici et là des clichés tendres et poétiques. En 2006, dans le cadre de la politique de décentralisation, la route nationale 7 devient départementale. Désormais à charge des départements, elle quitte la catégorie de la voirie d’intérêt national. Déclassée, la route devenue ruine nous est alors apparue non comme un patrimoine à préserver mais à célébrer. Ce projet devenait le récit d’une lente désintégration: de Notre-Dame à la mer Méditerranée se défait le grand mythe du progrès social. Une France pittoresque se transforme en paysage atomisé, séparé. Nous souhaitions dès le départ mélanger indistinctement nos photographies, autant pour mettre à mal cette notion d’auteur-propriétaire que pour se mettre au service d’un travail collectif. Nous avons travaillé avec le même matériel, le même film, lu les mêmes livres, vu les mêmes films, écouté les mêmes musiques. Nous voulions voir si nous ferions les mêmes photographies. Au final, nos séries respectives sont très distinctes, nous avions avancé chacun sur un rail. En croisant nos photographies nous avons instauré un dialogue photographique : l’un répond à l’autre, l’un fait avancer l’autre. Nous voulions des images nettes et frontales, sans jeux de perspectives ni effets de lumière. Nous admirons la simplicité du style documentaire, sa clarté et l’effet de présentation qu’il donne aux paysages. Ces photographies sont des coupes, des morceaux de bas-côté qui laissent le décor posé, le paysage s’installer. Nous sommes également marqués par les pratiques dites « pauvres » de la photographie. L’archive, les albums de familles, les catalogues par correspondance nous intéressent par la platitude des images, l’absence de hiérarchie, la naïveté du regard. Nous refusions l’idée de faire un sujet, une histoire, un reportage. L’espace de la route nous a permis de produire des formes dans le cadre strict que la photographie nous impose : cadrage, plan, couleur. Nous voulions une série proche d’un morceau musical, avec ses mouvements, ses ruptures, ses répétitions… Lentement (nous sommes partis chacun un mois), la nationale 7 est devenue notre paysage mental et nous replongeait irrémédiablement dans notre enfance. La peur de sentir la voiture tomber en panne au cœur d’une zone industrielle sans client, la joie de filer librement sur le goudron brûlé par le soleil, la magie des fins de journées éclairées par les premiers réverbères, rien de tout cela ne nous avait quitté. Nous avons cherché à reconnaître dans ces espaces banals, communs, ce qu’il y a de soi, au plus intime.