© Charles Fréger / galerie les Filles du Calvaire
Atelier De Visu 19 rue des trois rois 13006 Marseille France
Charles Fréger poursuit, depuis le début des années 2000, un inventaire intitulé « Portraits photographiques et uniformes ». En Europe et un peu partout dans le monde, avec ses séries consacrés à des groupes de sportifs, de militaires ou d’étudiants, il s’intéresse aux tenues et aux uniformes. Sa première série s’appelait « Faire face », car pour lui, la rencontre du photographe et du modèle se cristallise dans une confrontation distancée en surface comme pour mieux apprécier l’épaisseur de l’être au monde et son appartenance au corps social. Faire corps et esprit de corps sont les ressorts de ces présences individuelles où la tenue, entendue à la fois comme pose et vêtement, matérialisent le « physique de l’emploi » ou « l’habit du moine ».
Mais l’aspect uniforme, statique du dispositif photographique qui vise à neutraliser la présence du photographe pour privilégier l’enregistrement documentaire des sujets n’est qu’apparent. La qualité des cadrages, le choix des poses, le détail des mains ou des traits des visages, ainsi que l’importance accordée à la mise en situation restituent l’acuité de la présence, l’adéquation entre la personne et un univers repéré pour ses codes et son inscription dans une société. L’exotisme y a sa part que ce soit à l’intérieur avec différents corps d’armées ou groupes sportifs, ou bien à l’extérieur à l’opéra de Pékin ou auprès de tribus africaines. Ceci renforce le jeu des différences et de l’altérité qui est un des principes des « portraits photographiques et uniformes ».
Dans ses projets, Charles Fréger décline un vocabulaire photographique précis constitué de cadrages centrés souvent frontaux, en pied, en buste ou serrés. La transparence de l’éclairage, la neutralité de l’expression ainsi que la statique de l’image, cependant attentive à la qualité des grains de peau et à la texture des vêtements, suggèrent une référence aux portraits peints par les maîtres anciens. Les profi ls médiévaux ou la présence frontale des fi gures de la Renaissance dont les attributs indiquent le rang et la qualité sont autant de sources du travail de Charles Fréger. Portraits peints d’hier et photographies d’aujourd’hui semblent se répondre dans ces images posées et emblématiques où se distinguent les signes d’appartenance, d’adhésion ou d’existence. Cependant c’est toujours de représentation dont il s’agit : les sujets posent, les services communications ou des intermédiaires choisis ont permis l’activité du photographe qui enregistre des effi gies. Celles-ci hésitent entre icônes et documents, elles aspirent à la sollicitude du portrait, au respect du sujet. Des différentes communautés qu’il rend visible par la puissance du médium photographique, Fréger choisit aussi bien celles où le discours de l’apparence revêt ses habits les plus chatoyants et les plus prestigieux (Steps, Empire, Opéra) que celles plus modestes où la raison sociale signifi e les conditions d’existence en Europe (Bleus, Sihuhu) ou dans d’autres continents (Umwana, Ti du). Régiments protocolaires et troupes d’élites occidentales côtoient ainsi orphelins rwandais ou moines vietnamiens dans un grand écart où l’exotisme du costume redouble une vision presque ethnographique, proche de celle d’Auguste Sander.
Cependant point d’ambition scientifi que ou didactique chez Fréger, il sait qu’il doit se méfi er de l’anachronisme entomologique qui consistait à coller nos étonnants voisins sur des fonds neutres comme autant d’insectes à comparer à la loupe de nos sciences coloniales. Juste chez lui, le souci de rendre ses sujets en accord avec un lieu, un temps et une communauté comme pour mieux nous convaincre de notre irréductible parenté avec l’outrance du paraître et la contingence sociale d’une condition ou d’un statut.
Pas d’angélisme non plus, dans « la famille de l’homme » chère à Steichen, nous ne sommes pas les oncles d’Amérique, et notre paternaliste compassion doit cesser d’aveugler nos visions ethnocentriques. Fréger ne revendique d’ailleurs pas de discours critique ou politique, il explore en artiste le portrait comme genre, en revisite constamment l’histoire et les méthodes à la façon d’un peintre offi ciel au service de lui-même, de tout-un-chacun et du monde entier. Si académisme il y a dans son protocole c’est volontaire comme pour interroger toujours le portrait d’apparat, car il part toujours de là : un portrait où les modèles doivent être des sujets restitués dans leur identité mais aussi leur dignité. J’ai eu l’opportunité et la chance d’accompagner Charles Fréger sur certaines prises de vue et j’ai été frappé par le respect et la simplicité dégagés par ces séances. Aucune emphase, aucune recherche psychologique, juste une présence affi rmée (on vient pour faire des photographies) et mesurée (on perturbe le moins possible la situation en cours). C’est bien ce qui se traduit sur les images : l’affi rmation discrète d’une identité alliée à l’incarnation d’une situation sociale.
Les images de Fréger enregistrent des effets de socialisation retrouvés dans le costume et la tenue qui sont la surface de l’être. Fréger aime les tuniques, les textures, les allures imposées par le port d’une tenue. Il aime mesurer les écarts d’une tenue à l’autre, d’une tribu à l’autre, tous ces écarts qui font qu’on est soi parmi les autres. Que ses sujets possèdent des tenues ou des coiffures identiques voilà qui conduit à un profi l type que Charles Fréger ne manque pas de décliner et de souligner mais il montre en même temps combien la série permet la perception des moindres différences. A chaque fois la curiosité le pousse de plus en plus loin dans la recherche de ses sujets mais aussi dans sesrecherches formelles. Comme si fi nalement il souhaitait aller toujours plus loin dans l’identifi cation aux différentes communautés, comme si pour faire le portrait de quelqu’un il lui fallait toujours désirer sa place et vouloir enfi ler son costume.
Didier Mouchel
Chef de projet photographie
Pôle Image Haute-Normandie, Rouen – France.