Galerie Annie Lagier 6 rue du Docteur Tallet 84800 Isle-sur-la-Sorgue France
Barjol, physiquement, c’est un lutin, un farfadet, un poulpiquet, un petit bonhomme avec une barbe et des yeux malins. On dirait qu’il vient d’un recoin du sol, d’une grotte mystérieuse aux parois pailletées de gemmes et de nacres, un lieu qui sentirait la terre , et l’eau, et les cailloux... Le monde de Barjol, celui de ses dessins, de ses tableaux, lui ressemble, c’est un univers fantastique. La première fois que j’ai vu une œuvre de Barjol je ne portais pas mes lunettes et j’ai cru qu’on me montrait une feuille de papier sur laquelle un vélo aurait laissé les traces de ses pneus. j’ai pensé que, de nos jours, les gens font n’importe quoi, pourquoi pas de la peinture à vélo... Puis j’ai mis mes lunettes et j’ai découvert des paysages bouleversants. Des vignobles et des vergers, des cultures alignées ou groupées où s’inscrivent les actions des gens et celles de la nature ; la jeunesse et la vieillesse des végétations, les ruissellements des orages, les blessures de l’érosion. Des sols livrés au ciel comme la paume d’une main ouverte, aussi nus et indécents que ça, aussi touchants aussi. L’univers de Barjol est un univers poétique. Une poésie dont on ne trouve pas immédiatement l’accès, mais une fois qu’on y est c’est l’envoûtement, c’est se balader seule dans une campagne vallonnée et pierrailleuse qui sent le thym. Chaque tableau est une parcelle sur laquelle s’acharne, depuis des millénaires, des paysans et des dieux. J’ai vu travailler Barjol, je l’ai vu s’obstiner sur ses sillons à coup de minuscules signes. Je n’ai jamais su si celui là était un sulfatage, celui-ci un labour, cet autre une tempête. Je me demande s’il le sait lui-même. Il est obsédé, entêté, il reste des heures et des jours sur un foisonnement végétal autant que sur une plaque de sécheresse et quand ses pinceaux et ses plumes ne lui suffisent pas, il va dans la champ de cerisiers de son père, y coupe une ramille, la taille, la trempe dans l’encre et recommence avec elle, sur son papier, ses infimes traces. Comme si la vérité et la simplicité du bois étaient nécessaires à la majesté de la création. Comme s’il fallait être lutin pour faire participer les autres aux arcanes de la poésie.
Marie CARDINAL, 1989.