Yves Humbert
L’image en état de poésie
« La photographie c’est une question de passion. Moi, j’existe par la photo. Une image, c’est une parcelle de soi-même. Créer, c’est un moyen de survivre et surtout de se créer une autre réalité.» Ce propos d’Yves Humbert peut être considéré comme le credo de ce Nyonnais, poète de l’image et arpenteur de rêves, qui a pendant près de 30 ans poursuivi inlassablement sa quête d’absolu, la résumant à sa manière: «J’essaie de comprendre la lumière, comprendre le paysage, comprendre le pourquoi. Je me baigne dedans…»
Disparu en 1996 à l’âge de 48 ans, Yves Humbert a traversé la vie comme un météore mais en nous léguant une oeuvre éblouissante dont on redécouvre avec émotion la qualité, la richesse et l’ampleur en cette année où trois expositions lui sont dédiées. Une belle occasion de se souvenir aussi, et avec amitié, de l’homme Humbert, ce personnage attachant, sensible, ombrageux, aux coups de gueule légendaires mais à la tendresse à fleur de peau, généreux, exigeant avec lui-même, dont le regard fouillait, transperçait le vôtre pour se traverser soudain d’un éclair rieur et malicieux. Lorsqu’il condescendait à parler de son travail, Yves Humbert ne disait rien au hasard, mais nous entretenait de choses essentielles qui éclairent aujourd’hui l’homme et son oeuvre. Ainsi confiait-il, «je veux faire des choses qui me sortent des tripes, de ce que j’ai de plus profond en moi, que ce soient violences, impulsions, passions.
Une fois que ma démarche m’a conduit à une création, c’est terminé, il y a autre chose de plus important. A la limite, je peux déchirer la photo.»
Dans le secret de son laboratoire, lieu de transmutations secrètes, il a oeuvré en alchimiste inspiré manipulant la photographie, la disséquant, la recomposant en y insérant fragments de lumières lacustres, courbes féminines, ailes d’oiseaux, végétaux. Il dialoguait avec le moelleux papier à la cuve, interrogeait les virages. Pour chercher, inlassablement, «cette autre chose qui est derrière, cette réalité détournée. Une atmosphère…» Pour que l’image épouse peut-être, enfin, son rêve et son angoisse. Ses poudres philosophales ce furent les sels d’argent et surtout d’or avec lesquels il se mit en quête pendant 20 ans d’un bleu (celui du lac) qui dansait dans sa tête. «Lorsque je l’ai trouvé, ce fut magique. J’étais un petit artisan et soudain je me suis senti sorcier.»
S’il est une chose qu’Yves Humbert rejetait avec violence, c’était l’idée de faire «de la belle image». «Cela ne m’intéresse pas. Ce qui me passionne, c’est le regard, puis le cheminement de la pensée. La photo créative, qui est une façon d’exprimer son angoisse, sa vision, sa réalité, devient un art intellectuel. C’est une réflexion permanente donc un art de vivre. D’ailleurs, je ne prétends pas être un artiste. Je suis un rêveur et un contemplatif.» Sa dernière exposition se tint en décembre 1995 à l’Usine à Gaz de Nyon. Cultivant le mystère, il s’engageait de plus en plus sur la voie de l’abstraction. Les formes s’érodaient, se dissolvaient en une écriture de signes, traces allusives, lambeaux de rêves, souvenirs d’émotions. Du cri, on passait au murmure. A la mezzanine, un mobile porteur de photos froissées - construit par son ami Georges Allenbach - tournait doucement, en silence. A terre, on découvrait, symbolisant «des choses terminées», une étrange installation faite d’objets, renard empaillé, squelette de belette, miroir cassé. Un peu funèbre lui avait-on fait remarquer. Yves avait haussé les épaules. «Oui, c’est la muerte. Tu sais bien… la mort, l’amour, la vie… tout ça c’est si proche.» Dix mois plus tard il s’endormait à jamais dans ce lac tant aimé dont il avait magnifié les lumières. Françoise Gentinetta