CAP - Centre Atlantique de la Photographie Galerie du Quartz Square Beethoven 60 rue du Château 29000 Brest France
La Galerie du Centre atlantique de la Photographie de Brest propose un ensemble quasi-rétrospectif des travaux de Denis Dailleux : une cinquantaine de photographies extraites de la série en couleurs réalisées en Afrique, et plus précisément en Egypte : Habibi Cairo – Le Caire. Un ensemble plus ancien – et très remarqué - des portraits de Tante Juliette – photographié en noir et blanc est également montré à Brest. Il s’agit d’une série photographique intime et saisissante de portraits de Tante Juliette, un personnage hors du commun, qui devient un mythe magnifié par la photographie et ses mises en scène. Ici, Denis Dailleux raconte l’histoire intime de sa grand-tante et pose un regard facétieux sur le rapport qu’elle entretient avec son jardin de campagne.
Une rencontre
Mon premier contact avec le travail de Denis Dailleux date du jury du prix "Monographies", réuni par Patrick le Bescont ( responsable des éditions Filigranes ) à la galerie en 1997. J'avais été immédiatement séduit par l'atmosphère, la lumière de ses images et la dignité qui se dégageait des personnages photographiés dans les quartiers populaires du Caire. Les deux lauréats du prix furent, cette année-là, Rip Hopkins, que le Cap a récemment exposé, et Denis Dailleux. Depuis, les séjours en Égypte se sont multipliés, le travail de Denis s'est étoffé, affirmé, dans le même esprit, mais avec une rupture formelle importante : l'abandon du noir et blanc pour la couleur. Curieusement, ce changement décisif ( le talent de coloriste de Denis est devenu une évidence, une caractéristique première de son travail ) n'a en rien modifié le sentiment, l'émotion que procurent ces images. La cohérence est au delà de ces questions formelles. Si le fond du propos est identique, c'est que ces photographies ne sont pas seulement des images : ce sont des histoires. Ce sont des rencontres, des conversations, des amitiés, des coups de coeur. Plus qu'une suite de photographies remarquables, comme de beaux papillons épinglés dans une boite, ce que vous voyez au mur est l'accomplissement de mois et d'années d'une relation amoureuse ( parfois difficile, et qui recèle ses déceptions ) : "habibi Cairo" ( "Le Caire, mon amour" ) était déjà le titre du premier livre de Denis Dailleux.
Ceci, cette façon de traiter la photographie comme un outil de relation à l'autre, atteint une profondeur et une émotion quasi psychanalytique avec la série "Tante Juliette". A un moment de notre histoire où les images deviennent de plus en plus envahissantes, agressives, incontrôlables, il est précieux de donner un nouveau sens au terme galvaudé de "photographie humaniste" : celui d'images attentives, chargées de vie, de sentiment, de réflexion, qui pensent à ce que nous sommes les uns pour les autres, qui interrogent notre place dans le monde.
Didier Brousse
Galerie Camera Obscura - Paris
Égypte - La mère du monde
C'est par cette périphrase amoureuse que les Egyptiens désignent leur pays. Et, pour Denis Dailleux, la rencontre avec l'Égypte a ressemblé à des retrouvailles, comme si un lieu maternel lui avait été rendu dans ces quartiers populaires du Caire où il s'est senti immédiatement en affinité avec une culture, un mode de vie.
Le choc émotionnel et visuel de cette découverte d'un pays de culture si riche, si fécond en rencontres, en couleurs, a stimulé et fascine encore l'oeil du photographe. Mais cet oeil n'a rien de prédateur ou d'extérieur à ce qu'il enregistre. Denis Dailleux peut parler des heures durant de ses expériences égyptiennes en n'évoquant la photo, bien souvent, que comme un lien, un moyen de comprendre une culture et une justification de sa présence dans les quartiers d'artisans où il a, lui aussi, sa tâche à accomplir. Une relation forte, parfois amicale, toujours respectueuse, s'est ainsi établie. L'image n'est jamais volée, et, si elle est parfois mise en scène, ses modèles égyptiens savent d'ailleurs fort bien en jouer, en princes dont la pauvreté n'atténue en rien l'élégance naturelle.
C'est donc au fil des années une oeuvre en développement constant que Denis Dailleux bâtit en Égypte. Il a commencé voilà dix ans à photographier en noir et blanc ces mêmes lieux, ces mêmes personnes sur lesquels il continue de travailler. La couleur s'est imposée d'elle-même, au fil du temps : la richesse chromatique de l'Égypte a sans doute joué un rôle déterminant dans cette évolution. En revanche, Denis Dailleux est toujours resté fidèle à un format carré dont il maîtrise parfaitement l'équilibre et les harmonies. La galerie Camera Obscura avait déjà, en 1998, montré Habibi Cairo, premier manifeste amoureux en noir et blanc : nous sommes heureux de voir se confirmer une oeuvre, c'est à dire, à l'opposé des coups rapidement montés, un ensemble de photographies dont le temps est partie prenante, celui de la vie d'un auteur, et l'accompagne intimement.
Tante Juliette
Dans le village de son enfance vit un véritable personnage, une femme de caractère : la grand-tante de Denis Dailleux.
Entre le photographe et son modèle, entre la vieille femme et le jeune homme, une complicité unique instaure un jeu grave et drôle, un jeu qui prend parfois des allures de défi, de combat. De chaque image se dégage une intensité généreuse que Denis Dailleux obtient, sans artifice, en conjuguant une véritable émotion à une mise en scène soutenue par un sens très sûr de la composition. Mais ces images sont autant la création du photographe que de son modèle. La grand-tante de Denis Dailleux est un phénomène - et l'on en vient à se demander lequel des deux a imaginé ces mises en scène saugrenues et hilarantes auxquelles elle se prête avec la malice évidente qui pétille dans ses yeux. Sous les traits d'une vieille femme, c'est l'espièglerie d'une jeune fille qui décline ses attitudes, ses états d'âme : du regard perdu dans le vague à l'air revêche de l'ombrageuse paysanne. Mais malgré ces compositions, au-delà du jeu, c'est la vérité de cette femme qui s'impose, l'authenticité d'une présence farouche qui transfigure chaque portrait et nous immobilise à sa vue pour tenter vainement d'en saisir le mystère.