Les Greniers à Sel rue de la Ville 14600 Honfleur France
De Kep-sur-Mer sur le golfe du Siam dont on rêva de faire dans les années cinquante le Saint-Tropez du Sud-Est asiatique, de Bokor, station climatique d’altitude aux architectures art déco, ne subsistent que villas décrépies, carcasses d’hôtels orgueilleux, jardins à la végétation inextricable, casino inondé… Les images en noir et blanc de Catherine Griss dressent un constat en noir et blanc, sans pathos, à la mélancolie durassienne, d’une époque à la fois proche et révolue.
La contemplation des vestiges anciens est propre à susciter des réflexions distanciées sur le temps et le devenir des civilisations. Mais il est de certaines ruines, parmi les plus récentes, qui imposent le sentiment perturbant d’une accélération du cours de l’Histoire, d’un emballement des événements. Au Cambodge, entre 1953, année de l’indépendance, et la chute des Khmers rouges à la fin des années 1980, l’Histoire est allée très vite et très loin.
De Kampot, port jadis prospère, de Kep-sur-Mer sur le golfe du Siam (aujourd’hui golfe de Thaïlande) dont on rêva de faire dans les années cinquante le Saint-Tropez du Sud-Est asiatique, de Bokor, station climatique d’altitude aux architectures art déco, érigée pour la bonne société de Phnom Penh, ne subsistent que villas décrépies, carcasses d’hôtels, jardins à la végétation inextricable, grilles ouvragées qui ne défendent plus rien, lambeaux de revêtement goudronné qui affleurent d’une piste ravagée par les pluies.
Les images en noir et blanc de Catherine Griss en dressent un constat en noir et blanc, sans pathos. Sans insister, le regard se pose sur le Bokor-Palace-Hôtel, toujours fier, sur le casino scalpé ou l’église qu’on dirait plantée dans un coin de campagne française. Ironie de l’Histoire, ces deux bâtiments servirent de bases de repli aux Khmers rouges cernés par l’armée vietnamienne. L’objectif de Catherine Griss s’attarde un peu sur les terrasses de la résidence du prince Sihanouk au charme toujours sensible, sur des villas alignées comme autant de variations sur l’art de la villégiature en Extrême-Orient. Le charme de cette vie coloniale fleure encore, comme un parfum sucré. Marguerite Duras et son Barrage contre le Pacifique ne sont pas loin : elle passa dans cette zone une partie de sa jeunesse. Mais les
ciels sombres qui pèsent sur ces paysages avec ruines dissipent notre rêverie, et les impacts de balles qui grêlent les façades nous renvoient aux pages les plus sombres de l’autogénocide cambodgien.
Les restes de ce paradis perdu n’excitent aujourd’hui aucune convoitise chez ceux qui les côtoient. Ces rêves de bien-être, de splendeur ne les ont jamais concernés. Un marché misérable s’est installé dans la salle de jeu du casino, quelques familles squattent des maisons pillées dont même les châssis de fenêtres ont été emportés.
Pourtant, quelques villas près de la mer commencent à être timidement réhabilitées.
Le grand resort de dix-huit mille lits en cours de construction de l’autre côté de la baie, au Viêt Nam, apportera-t il les retombées économiques espérées ? Alors les touristes, ces colons d’aujourd’hui, pourraient reprendre le témoin abandonné il y a quarante ans… dans un autre monde.
J.-C. F