Les Greniers à Sel rue de la Ville 14600 Honfleur France
Passionnée par l’exploration de la culture populaire brésilienne, Lucia Guanaes a pénétré dans de modestes intérieurs qu’une même esthétique unit : celle de l’accumulation baroque des objets-symboles et des couleurs. En nous livrant ces espaces privés, lieu de projection des frustrations de leurs occupants, de leurs fantasmes de bonheur, la photographe nous expose leur aspiration à la dignité, leur besoin de revanche sur une condition sociale et un destin injustes.
L’exploration de la culture populaire brésilienne est pour Lucia Guanaes, plus qu’un thème récurrent, une question identitaire qui s’impose à elle. Après avoir longuement photographié le quartier du Pelorinho au coeur de Bahia, dont elle avait donné un portrait architectural, social et culturel, elle a pénétré cette fois dans les maisons coloniales du centre historique de la ville, dans les maisons de brique du quartier des Alagados ou dans les maisons sur pilotis de Cachoeira.
Une même conception esthétique du décor unit ces lieux. Partout, la même prolifération de bibelots sur les rares meubles déglingués, d’images pieuses mêlées à des photos de magazines épinglées au mur, d’instruments culinaires, d’appareils ménagers antiques dont on ne sait s’ils ont encore une fonction utilitaire ou s’ils ne sont présents que comme objets de prestige, symboles du confort et de la modernité. Partout s’affiche le même goût pour les associations de couleurs douces et complémentaires, pour la juxtaposition d’éléments hétéroclites, porcelaines, cages à oiseaux souvent inhabitées, jouets qui semblent plus décoratifs que destinés aux enfants. Le tout avec une inventivité et une esthétique de la surcharge, identique à celle qui préside au carnaval et sans doute héritée du baroque colonial.
En excluant les vues d’ensemble, en s’imposant des cadrages parcellaires et frontaux qui écrasent la troisième dimension, Lucia Guanaes compose des tableaux dont l’esthétique est celle même de ces intérieurs. Ainsi, le photographe-caméléon se fond-il dans son sujet par la forme adoptée mais aussi par son propos : nulle volonté de distance, de dérision, d’invoquer le trop facile prétexte du kitch comme on le voit trop souvent. En nous livrant ces espaces privés, lieu de projection des frustrations de leurs occupants, de leurs fantasmes de bonheur, la photographe nous expose leur aspiration à la dignité, à la reconnaissance, leur besoin de revanche sur une condition sociale et un destin injustes.
J.-C. F.