La mode a exercé de tout temps un pouvoir particulier sur la société, en établissant un système de signes de reconnaissance par lequel classes sociales, milieux culturels ou professionnels, communiquent, s'identifient ou se distinguent. Dans les temps modernes, la photo est la mémoire de ces comportements.
C'est la femme, incarnation de la séduction, de l'amour et de la sensualité, qui depuis toujours et dans toutes les civilisations a été le sujet ou le thème principal des faiseurs d'images, et aujourd'hui des photographes de mode. Et ce que l'on attend d'une photo de mode n'est pas peu de chose, puisqu'on lui demande de modifier notre vision du quotidien, ne serait-ce qu'un instant, de nous emmener dans le rêve, et concrètement de nous inciter à passer à l'acte d'achat.
Dans ses débuts, son temps de pose était de trois minutes. Ainsi les femmes du monde étaient-elles figées comme des statues dans leur superbe robe. Aucune chaleur humaine, aucune sensualité ne pouvaient se dégager de la photo. Dans les années 1920, apparaît la photo de mode avec modèle. Les diktats des stylistes et des créateurs de mode ne tenaient guère compte des "femmes femmes", passant de la taille de guêpe au buste sans seins (Poiret, Chanel), et finalement à une créature presque abstraite, ce qui n'était pas pour déplaire au photographe. Plus le corps du mannequin s'étiolait et s'écartait des courbes naturelles de la féminité, plus il lui permettait de parvenir à un graphisme dans l'espace.
Par ses excès, cette tendance est devenue insupportable à la masse grandissante des hommes et des femmes s'intéressant à la mode, ce qui provoqua une sorte de révolution.
Dès 1965, des créateurs comme Courrèges ont cessé de "faire de la haute couture". Avec un regard neuf, et une philosophie inspirée du Bauhaus, la fonction crée la forme, il a dessiné des robes assez courtes pour pouvoir facilement monter et s'asseoir dans une voiture.
Les pages de mode sont devenues un théâtre d'illusion et de magie, avec des images souvent loin de la réalité et parfois choquantes: ainsi mémorisera-t-on un style de vêtements plus profondément et plus longuement que par une photo traditionnelle.
Jean-Loup Sieff a dit un jour que "la photo de mode n'existe pas." Un peu par provocation je suppose, un peu par allusion à ce qu'elle a de frivole, mais peut être aussi pour signaler l'absence en elle du sacré. Mais il arrive qu'au-delà de la mode et de l'information sur le vêtement, le photographe appréhende l'essence même de l'être qu'il a devant lui et que surgisse de cette femme un émouvant moment d'humanité. La photographie de mode à ce stade atteint une sorte de vénération de la beauté féminine, un idéal de vie.
Peter Knapp
Extrait de « La Photo et les Modes » conférence donnée à l’université de Lyon.