Philippe HERBET, Extrait de la série «Rhizome oriental – Voyage en ex-URSS», 2001-2006, 80 x 80 cm00
Espace Contretype 1, avenue de la Jonction 1060 Bruxelles Belgique
À LA RUSSE!
Anastassia Sergueïevna Gorlanova était ma grand-mère maternelle, je l’appelais Baba Nastia, à la russe. Grâce aux relations troubles de mon père avec les soviétiques, j’ai pu passer les trois étés de 1976 à 1978 avec elle, à Moscou et en Crimée. Leonid Brejnev fêtait ses soixante-dix ans en 1976, ma grand-mère cinquante-neuf. Elle est morte d’une longue maladie quatre années plus tard et nous n’avons pas pu assister à ses obsèques. L’étau s’était encore resserré. Quant à mon grand-père, il avait été déporté au Kazakhstan à la fin des années trente, juste après la naissance de Maria, leur fille qui allait devenir ma mère.
Et moi, je suis né à Istanbul d’un père belge et de cette belle Maria, girl dans un bar de Beyoglu. Un «accident» qui a valu à ma mère de vivre en Belgique et de «couper les ponts» avec le passé.
De ces deux premières années de mon existence passées à la Sublime Porte et de cette grand-mère trop peu connue, j’ai été tenté de trouver des souvenirs qui me manquaient.
Et c’est à Istanbul que j’ai embarqué sur un antique cargo ukrainien pour une traversée de la mer Noire. Arrivé à Odessa, je voulais découvrir l’Ukraine, la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan, les décors, le théâtre d’une moitié de mes origines, de mon rhizome oriental.
J’ai donc suivi ces trop jolies femmes russes d’Istanbul qui me rappelaient ma mère dans les années soixante, ses maquillages, ses jupes courtes et ses talons aiguille. J’ai voyagé à la russe, en bateau, en train, en Gazelle — joli nom des minibus de ce côté-là de la terre — et même en stop. La Russie s’est mise à vibrer en moi sur ce mode qui accompagne désormais le rythme de mon existence: en mineur.
Philippe Herbet