Lieux 2002/2007
L’espace est toujours marqué par le temps. Un temps qui l’a dégradé ou, pour le moins, transformé. Mais cet espace, auquel nous n’aurions pas dû avoir accès, s’impose à nous, avec ses peintures écaillées, ses blessures de fils électriques abandonnés, ses minuscules désastres du quotidien parce qu’un corps le traverse, sans l’habiter.
Corps magnifique, sculptural, qui nous oblige à regarder, voir peut-être, l’espace dans lequel il évolue sans se l’approprier, tant il est, toujours, à la limite de l’effacement, de la disparition. Comme une évidente présence qui nous dirait, déjà, que tout est fini. Un corps surgi de l’espace qui semble l’avoir généré et que nous ne pourrons apprivoiser.
Il y a de la séduction dans ce travail, de la séduction comme leurre. De la séduction parce qu’il peut sidérer. Et ce n’est pas le propos. Séduire pour mieux tromper, montrer pour mieux s’évader…
La modalité de l’exposition s’inscrit dans la logique du travail : il ne s’agit pas d’une exposition, ni d’une installation, mais d’une mise en espace d’années de travail qui se concrétisent dans un lieu.
Images “en l’air”, son qui les accompagne ou les caresse, juste une idée de l’importance du mot, trop lié aux images et aujourd’hui galvaudé, d’environnement. Regardez, vous êtes dans un espace. Vous êtes qui ? Juste une branche ? Faut regarder aux environs…
Le parcours sonore imaginé par Loïc Blairon
Loïc Blairon pénètre et investit les mêmes lieux que Léa Crespi. Il tente d’y capturer ce qui en constitue la substance sonore.
Loin de l’acte de contemplation, il se pose en médiateur entre le lieu et le support témoin qui collecte le son. Il n’aborde pas l’espace comme source de représentation, mais tente de capter l’expérience que lui-même fait ou qu’un individu lambda pourrait faire d’un lieu (le corps se déplace dans un paysage donné – preneur de son en perpétuel mouvement – les yeux face au paysage – au-dedans d’un lieu). Il se sert de ce matériau au moment d’investir l’espace d’exposition/installation. Il ne s’agit pas de restituer une ambiance ou de la documenter, mais de traiter le thème-lieu à travers la spatialisation du son qui occupe l’espace et s’approprie les circonstances qui le configure. Ainsi, s’opère le mélange son/image, place nouvelle où les différents sens qui entrent en action contribuent à la construction d’une expérience singulière. Le son injecte une durée dans la lecture des photographies, photographies qui viennent à leur tour perturber l’écoute pure du son, l’individu se déplaçant librement mais contraint par la mise en image/son de l’espace-lieu.
La branche est un rappel de l’ambiguïté de la construction de l’hyper-lieu. Son apparence brute et naturelle nous renvoie à la réalité physique de la matière. Alors que l’installation n’est que pure simulation, la branche bien réelle nous remémore l’immanence première des lieux que nous traversons.
Christian Caujolle, conseiller artistique VU’ :
“Après une sérieuse formation à l’Ecole de Vevey, en Suisse, elle s’inscrit immédiatement dans le petit groupe de ces créateurs contemporains qui ont pris la juste mesure de la situation de l’image fixe dans ce début du XXIe siècle. Avec un savoir-faire irréprochable, elle exécute, brillamment, des commandes, essentiellement de portraits, pour la presse. Un sans-faute qui connaît à la fois les limites de l’exercice et le plaisir de la rencontre, et de la reconnaissance.
Mais son espace personnel, qu’elle définit en toute indépendance, est essentiel. Et elle a décidé de le développer, de l’interroger.
Alors que, au cours des années quatre-vingt-dix, se sont développées trop de chroniques de “l’intime” qui ont tourné, après avoir été à la mode, à l’évidence de leur niaiserie nombriliste, elle se pose en rupture. Radicale et provocatrice. Mais avec un sens très sûr de l’image et de son équilibre. Point de trash à la mode, point de provocation et pas de narcissisme. Pourtant, elle développe un ensemble d’autoportraits nus (dont la plastique remarquable ne peut laisser indifférent) dans des espaces problématiques. Usines abandonnées, lieux en voie de destruction, hôtels voués à la disparition, espaces structurés par les gravats à venir, elle investit, de son corps qui sert de révélateur, le questionnement de l’espace. Des images somptueuses, savantes de la subtilité des couleurs, où son corps sert seulement, avant de s’évanouir, à révéler ce que furent les espaces qu’elle traverse.”