Sophie Ristelhueber, Eleven Blowups, image n°10, 2006
Galerie of Marseille 8 rue du Chevalier Roze 13002 Marseille France
A travers un choix d’oeuvres récentes et de travaux plus anciens, galerieofmarseille poursuit avec Sophie Ristelhueber sa volonté de présenter des artistes investis dans des thématiques géopolitiques et territoriales, relevant d’un rapport à la réalité physique et mentale des lieux qu’ils évoquent.
Qu’il s’agisse de Michelangelo Pistoletto, Yvan Salomone, Yto Barrada, Hervé Paraponaris, Berdager/ Péjus, Jean Bellissen, chacun avec des moyens différents fait apparaître que le véritable enjeu de son oeuvre est d’élaborer des formes artistiques lui permettant d’exprimer ces questionnements.
Dans son travail, Sophie Ristelhueber réalise l’expérience singulière du déplacement. Trouver la bonne distance physique avec son sujet est un enjeu de chaque instant qui conditionne la possibilité de ses oeuvres. C’est ainsi que Sophie Ristelhueber façonne ses outils (photographie, vidéo, images numériques) autant que ses thèmes (architectures détruites, objets marqués, paysages abimés ou en sursis) aux nécessités de sa création artistique.
Irak, 2001, triptyque.
Pour regarder simplement cette oeuvre, il faut s’écarter des émotions que l’actualité immisce, même si elles cherchent en nous un point de rencontre inévitable. Trois vues inséparables et imprenables sur un champ de palmiers calcinés en Irak. L’anéantissement de toute forme de vie. Est-il utile d’insister ?
Sophie Ristelhueber ne livre rien de son sentiment sur l’événement qui a créé cette incroyable installation silencieuse. Il est des situations qui défi ent l’imaginaire. Voilà pourtant que ces sculptures à l’échelle de la nature rattrapent de spectaculaires moments d’histoire de l’art, et l’outil photographique permet ici de témoigner d’un ready-made, façonné par des mains ignorantes des implications esthétiques de leurs actes.
WB, 2005, série de 54 photographies couleur.
West Bank (rive ouest), c’est ainsi que les anglo-saxons nomment communément la Cisjordanie, une façon de désigner ce territoire comme s’il n’était pas un pays à part entière. Ces grands formats en couleur montrent des fragments de paysage. La forme et le genre créent une étrange reconnaissance en marge des systèmes référentiels de l’art. Ces paysages semblent des abstractions. C’est presque trop beau pour être vrai jusqu’à ce qu’un réfl exe visuel nous ramène à la raison : une terre démantelée, labourée, écorchée vive, qui ne nous livre rien de plus que sa propre histoire banalisée, un déchirement au quotidien. La terre pour dire la source du confl it, pour dire les corps, pour dire l’inscription inévitable dans une mémoire collective du monde.
Eleven Blowups, 2006, série de 11 images.
Initialement tirée sur papier pour une installation in situ1, les trois pièces créées pour l’exposition ont été imprimées sur verre. Chaque Blowup matérialise un point précis, à la fois de synthèse et de rupture, dans l’oeuvre de Sophie Ristelhueber. Pour la première fois, elle crée des images de toute pièce, elle fait des faux. La particularité de ces faux étant d’être l’implacable somme d’éléments vrais, littéralement des blowups (explosions) à l’envers. Ces cratères sont bien réels : elle les a cherchés lors d’une fouille minutieuse dans les archives de l’Agence Reuters de Londres. Ils sont le sujet principal de chaque image. Autour d’eux, elle recolle les morceaux en convoquant des photographies issues de ses travaux antérieurs sur des territoires en guerre (Beyrouth 1982, Turkménistan en 1997, Syrie en 1999, Irak en 2000, Cisjordanie en 2003-2004).
Les Blowups sont des trous noirs qui absorbent la totalité de ce qui les approche, corps et âmes, l’épaisseur du verre renforçant la luminosité et la profondeur du sens de ces images.
1. Installation réalisée dans l’appartement désaffecté du Gouverneur de la Banque de France lors des Rencontres photographiques d’Arles en 2006.
Le Chardon, fi lm de 6’ réalisé en 2007, est une des premières expériences de Sophie Ristelhueber avec l’image en mouvement. Issue d’une commande pour le Parc naturel du Vercors, cette oeuvre colle en continu au massif montagneux, attrape ses angles les plus fragiles, révèle ses failles, ses points de vue abrupts. Le mouvement introduit une sensation de vertige. L’alternance avec un travelling au raz d’une route de goudron, sur laquelle on lit encore les tranchées ouvertes et refermées, fait passer le regard d’un déroulement vertical à un étirement horizontal de la matière du fi lm. Rester debout ou se coucher ? La nature, toujours vivante malgré les défi s de chaque instant déclarés par l’homme, fait son bilan. Elle impose sa résistance par la voix de Michel Piccoli et les mots de Léon Tolstoï.