Galerie du Théâtre La passerelle 137 boulevard Georges Pompidou 05010 GAP France
Le cinéaste Jean Renoir disait se méfier des intellectuels qui ne savent ni regarder, ni écouter, ni sentir.
Cependant, les photographies de Bogdan Konopka, qui n'ont besoin que d'un regard tranquille, font régulièrement l'objet de fort beaux textes. En fait, il me semble que c'est le propre d'un vrai travail d'auteur que de nous rendre « bavard » et lorsque ce travail rencontre un regard sensible et attentif, sa capacité à concentrer tout un réseau d'observations, de sensations, d'idées, se développe comme un parfum et fait s'éclore chez celui qui regarde tout un discours. Les images de Bogdan Konopka sont de taille plutôt petite1, mais leur ancrage dans le réel ne nécessite pas de décodage particulier et leur capacité d'accueil est grande. Pour peu que nous en prenions le temps, elles s'offrent facilement à l'appropriation et ce moment est d'un intense plaisir, car quelque part on se sent soi-même artiste.
Dans ce qui se présente à nos yeux, rien n'est inventé et chaque image possède la référence bien précise d'un lieu et d'une date de prise de vue. Bogdan Konopka repère ses espaces avec minutie et ne travaille pas au hasard bien qu'il sache saisir une rencontre fortuite et la faire s'épanouir dans une image. Comme il le dit lui-même : « Je ne fais pas des photographies pour mon plaisir, la photographie exige d'être un document de son temps ». Le regard attentif qu'il porte sur le monde s'attache plus particulièrement à l'environnement urbain, l'Europe, la grande, et maintenant la Chine où il vient d'être invité par deux fois. Il est bien sûr facile, mais quand même nécessaire, de rappeler que sa ville natale, Wroclaw, fut détruite au trois-quarts et que son enfance s'est passée tout entière dans les ruines. Mais n'allez pas croire que ses images soient tristes ou mélancoliques, qu'il recherche particulièrement le passé, le typique ou tout simplement le banal. Ne pensez pas non plus qu'il court après le spectaculaire, les démolitions intempestives ou les accidents ravageurs, il se contente très bien de l'ordinaire et du quotidien. Sans jugement de valeur, sans condamnation ou dénonciation, sans affect inutile non plus, il sait prendre en charge le temps qui passe. « Le salut de notre âme est entre nos mains », lui aurait dit Gaston Bachelard.
Que ce soit pour une commande officielle, où on lui demandera de rendre compte d'un « patrimoine classé » ou dans des prises de vues personnelles où il s'attachera plus volontiers à ce qu'il nomme lui-même « le patrimoine de rien », c'est « la peau des villes » en mue permanente qu'il nous livre ; cette peau qui s'accumule, disparaît, se reconstruit quotidiennement. Et en regardant ses photographies de Varsovie, de Prague, de Zürich, de Paris bien sûr, on s'aperçoit que chaque cité garde tout à la fois ses racines, sa singularité, mais nous livre aussi une même leçon. Dans leur capacité à disparaître et à renaître chaque jour inlassablement, toutes les villes sont semblables. Sans jamais se départir de son entêtement tranquille à enregistrer ce destin des villes, Bogdan Konopka a choisi d'en traduire toute la réalité plastique, c'est-à-dire de donner une forme à ce qu'il a vu et à ce qu'il veut nous faire voir.
Mais cette « plasticité », pour devenir une réalité photographique, a besoin d'une solide maîtrise technique. Le moindre vent ride ou fait disparaître les images qui affleurent à la surface de l'eau. Alors celui qui dit avoir la patience d'un graveur, sait comment traduire ce qu'il a vu. Au cours du développement et du tirage, il travaille ses gammes de gris jusqu'à obtenir ces images dont la qualité de lumière exerce étrangement le même pouvoir de fascination que celui des daguerréotypes. En nous épargnant la douloureuse expérience du temps qui passe, si souvent associée à la photographie, Bogdan Konopka nous plonge dans un état de grâce subtile et nous livre la durée à l'état pur.
Avec des images à contre-courant des modes et des tendances, des images qui ne font ni dans le nombre, ni dans la dimension, Bogdan Konopka est libre, libre du dangereux souci de faire ce qu'on attend de vous. Avec aisance, il parcourt les territoires les plus divers et nous montre qu'à travers toutes les différences, nous pouvons toujours construire une identité. Avec discrétion et sans regrets inutiles, il nous fait savoir que c'est notre destin d'avoir à secouer régulièrement la poussière de nos sandales
Françoise Paviot