Expositions du 27/09/2007 au 30/11/2007 Terminé
Atelier De Visu 19 rue des trois rois 13006 Marseille France
Le travail photographique de Thibaut Cuisset se déploie par campagnes successives et, à chaque fois, un pays différent fait l'objet de la série. Dans ces campagnes généralement assez longues où le repérage se dilue peu à peu dans la prise, aucune place n'est laissée à l'improvisation ou à l'accidentel et d'autant moins que nous sommes avec elles aux antipodes du reportage : un pays n'est pas le terrain d'une actualité qu'il faudrait couvrir, ni celui d'un réseau d'indices qu'il faudrait capter, mais un ensemble de paysages où le type se révèle lentement, à travers des scènes fixes qui sont comme autant de cachettes.
La Turquie, l'Australie, l'Italie, la Suisse, l'Islande, les pays de Loire, et j'en oublie, ont été ainsi visités et prospectés. Les images du Japon, réalisées en 1997, sont typiques de cette démarche qui semble inverser les valeurs traditionnellement attribuées au proche et au lointain et dont l'évident part-pris anti-exotique saute aux yeux. Mais il faut en dire plus : car si d'un pays à l'autre et, par conséquent, d'une série à une autre, des équivalences se remarquent, au point qu'on pourrait presque établir une typologie des lieux que Thibaut Cuisset, où qu'il soit, choisit de photographier, il reste que chaque série, évidemment portée par la constance d'un même regard et d'un même souci, émet une sonorité ou une tonalité différente. (...)
(...) Tout se passe avec Thibaut Cuisset comme s'il fixait dans l'espace un point imaginaire qui serait l'inverse du cliché. Ce point, au lieu de se tendre comme un idéal, est pour ainsi dire laissé flottant, et c'est la réalité, ensuite, qui, d'elle-même, le rejoint. Au cours de ce processus lent et patient qui a les traits extérieurs d'une immersion dans le paysage, le mystère de la tonalité locale vient se déposer sans bruit sur la pellicule : non là où il est déclaré, exhibé, souligné et, du coup, comme soustrait à lui-même, mais là où justement il demeure intégralement mystérieux, à la limite de la visibilité. Devant chaque photographie de Thibaut Cuisset, nous sommes ainsi confrontés à une double élongation : celle des choses elles-mêmes et de la langue muette qu'elles parlent (cette langue dont Francis Ponge disait qu'elle était son unique patrie) ? et celle que fait consister la façon dont cette langue, tout en restant muette, agit comme une articulation, ou comme un chuchotement, spécifique et local. (...)
(...) Refusant le cliché et allant à l'extrémité de ce refus, la photographie de Thibaut Cuisset se pose aussi dans le temps comme un refus, ou du moins comme un évitement de l'instantané. Ce qu'elle établit et suspend, ce n'est pas la coupe de l'instant dans sa brusquerie formidable, c'est une épaisseur de l'instant, c'est une durée. Même si ces photos, prises avec un pied, le sont à des vitesses assez lentes (1/15ème, 1/30ème), ce n'est pas le temps de pose en tant que tel qui produit cette sensation de continuité et de stase. La photo, loin d'agir devant le réel comme une puissance de rapt, se comporte plutôt comme un réceptacle, comme une pure surface d'impression. Ce qui est photographié ainsi, ce n'est pas seulement un point du monde, un ici et un maintenant croisés dans un éclair, c'est une déposition de l'ici dans le maintenant, c'est une descente des choses en elles-mêmes, c'est la fabrique de l'horizon et de ce qui se tient devant lui. Comme si la photographie, prisonnière par essence de l'arrêt et de la coupe, avait malgré tout le pouvoir d'étendre cet arrêt comme un seuil, le pouvoir de produire, dans la stricte immobilité, quelque chose de ce qu'obtient le panoramique en cinéma. Extrait de « L'étendue de l'instant (le Japon selon Thibaut Cuisset) » Texte de Jean-Christophe Bailly,2002 in catalogue Thibaut Cuisset, Campagne JaponaiseAtelier De Visu 19 rue des trois rois 13006 Marseille France