Vendredi 03 Août 2012 15:13:22 par actuphoto dans Expositions
Expositions du 11/05/2007 au 11/06/2007 Terminé
Stimultania 33 rue Kageneck 67000 Strasbourg France
Sur le bateau, tu t'assois, tu remplis des papiers. Tu ne sors pas sur le pont, tu ne vas pas voir la mer. Tu as un pull rouge posé sur les épaules et, quand je veux te prendre en photo, tu me fais un signe de la main droite. Tu es beau.
Je lève la main droite et je le jure aussi papa, je suis un apatride, ma race ! Juré, le Maroc est une peau, juré, un bateau dans l'oeil qui me fait douter de tout, qui me trouble la vue, et qui menace. Juré, craché, quand je crache en France c'est pour laver ma banlieue et jurer, sur le plus lointain des souvenirs, que je suis moi.
Tu vois, c'est la civilisation entière qui se meut dans l'histoire des migrants qui reviennent, des “Marocains de Retour de l'Étranger”, immatriculés au far west de l'humanité. Ne me dites pas qui je suis, si je suis arabe ou français, triste ou beau. Je suis là, en extension comme une syllabe africaine.
Comme une loge qui se déplacerait d'un théâtre vers un autre, chaque continent perd la mémoire de l'autre. Il n'y a bientôt plus que des familles endormies, des femmes évanouies dans leur djellaba au milieu des cannettes de cola, des gamins filant dans les couloirs, des images somnambules fixées par le contour des hublots. Bientôt, nous descendrons dans les cales écouter le son du bateau qui revient au pays, et qui va déverser l'Europe arabe dans la banlieue de l'Europe, bientôt, dans un vacarme strident, jusqu'au moment où le ciel de Tanger viendra couper le regard du monde de son éternité, je n'entendrai plus rien que la voix de ta nièce te dire au téléphone : “Désolée, tonton, mais tu ne fais plus partie de la famille.”
Et toi, tu es resté silencieux comme un homme qui semble n'avoir rien gagné à revenir, sinon à n'être qu'un MRE derrière ses lunettes noires. Algeciras-Tanger, comme un aimant. Tu reviens vers la terre de tes ancêtres. Et fatigué, tu dis, comme pour éprouver une réponse à ta vie : “Je dormirai, là-bas, je dormirai.”
El Maghreb, Images d'un retour au pays de Malik Nejmi
(oe éditions) livre 3/3 Bâ oua salâm3 4 Un jour, j'ai montré à mon père quelques-unes de mes photographies. La tombe de sa mère et le portrait de ses soeurs, à Rabat. Il m'a alors simplement dit : “J'ai compris”. Et j'ai pris ça pour une preuve d'amour. Les images le ramèneraient au pays. Mon travail sur le Maroc se situe dans un espace transitoire, qui se parcourt dans les deux sens, en trois allers-retours : Images d'un retour au pays (2001), Ramadans (2004), Bâ oua Salam (2005). Sorte de déclaration d'amour à ce pays, fi gure fraternelle pour laquelle seule la nécessité de partir et de serrer ce corps contre ma poitrine, peut encore me donner l'envie de faire des images, ce travail est d'abord un regard sur les miens, devenus désormais les protagonistes d'une histoire photographique. À m'en couper du temps, à en être hors du temps, à en quitter mon corps, j'ai cherché le dernier plan, celui qui tenait d'un côté le secret familial et qui de l'autre allait s'arracher à la voix des Marocains qui semblaient aussi avoir quitté leurs corps, ou aux paroles de Hocine, marquées par son expérience clandestine, quand il me parlait de “la chance…”, mais je n'ai vu qu'un trou noir, un affront du réel lancé à l'imaginaire. En marchant, je cherchais le dernier plan, comme un raccord avec la raison de mes visites. Et j'apprenais à faire des images… La migration a eu pour conséquence la nécessité de continuer des relations sociales à la fois avec le territoire d'origine et hors de ce territoire. Tandis que mon père refusait de revenir au Maroc, l'histoire familiale voulait que le fi ls revienne. C'était alors à moi de recréer ce lien. Il apparaissait dès lors que mon travail questionnerait la mémoire, les lieux, les sentiments, la complexité de la séparation avec son pays et la façon dont nous vivions chacun le lien affectif avec la famille. Que je devais dépasser le simple constat d'une histoire “offi cielle” de l'immigration, pour évoquer la ghorba, l'isolement, la solitude d'un pays en rupture avec son imaginaire social, et recontextualiser l'image fi gée de “l'Arabe” qui rêve de partir. Mes images ne s'inscrivent pas dans un drame humain “pris sur le vif”. Elles évoquent la dépression qui, d'un côté, envahit la jeunesse marocaine, et de l'autre, pèse sur les enjeux contemporains des migrations ; jusqu'à souligner la tension de l'action, le moment où les espaces se croisent, se superposent et réagissent. Le drame est ailleurs. C'est l'Afrique “blanche” meurtrie par la “fi ction du Protectorat”1. En somme, photographier le Maroc pour décadrer la France. Car ni mon identité ni l'Histoire ne me laissent le choix : apatride et nostalgique à la fois. La relecture de mon album de famille, puis l'expérience des documents, des notes appo-sées au dos des images, comme la découverte du premier passeport de mon père, me permettaient de synthét ser les temporalités de différents événements de notre vie. Mes photographies succèdent aux représentations de notre vécu, elles montrent la recons-titution d'une histoire spirituelle, histoire dont le héros réapparaît à la surface de l'image dans sa durée. Quand mon père écrit el Maghreb, cela signifi e pour lui “le pays”. Le terme Al Maghrib al-Aqsâ, dit : “l'Occident lointain”, soit aujourd'hui, la banlieue de l'Europe. 1. Expressions de Vincent Monteil in Maroc, Seuil, 1984
L'exposition, qui présente 94 tirages, se découpe en trois séquences présentées, en murs d'images, trois voyages au Maroc tissés d'une multitude de questions : immigra-tion, déracinement, sentiment d'appartenance… mémoire du père et quête d'identité du fi ls. Les grands formats 100x100 cm mettent en suspens la trame de l'enquête fami-liale. Ces trois retours puisent à la fois dans l'intime et l'universel, le proche et le lointain. Un travail de mise en son réalisé par MATHIEU GABORIT à partir de collectes d'enregis-trements, de compositions personnelles et des voix des protagonistes de “el Maghreb”, donnera le sentiment d'un mouvement de fond, créant parfois des images sonores. Des archives personnelles viennent clore le parcours de l'exposition, où le visiteur fera le lien entre l'enfance du photographe et la raison des images montrées. • Images d'un retour au pays (1/3, 2001) est une lente évocation du retour, des souve-nirs, des retrouvailles avec la famille. Maillages de souvenirs d'ici et de là-bas, les photo-graphies montrent un pays étranger que l'auteur porte en lui. La grand-mère fait fi gure de pilier, les cousins de France se confrontent à l'héritage culturel du pays s'origine. • Ramadans (2/3, 2004). Malik Nejmi élargit la question de l'immigration à ceux qui sont restés là-bas, y compris les soeurs de son père, Fatima, Fouzia et Mina. “Allers-retours entre les nuits du ramadan et les visites familiales, les photographies, plus dramatiques, cherchent à faire résonner la solitude humaine d'un pays que le père ne veut plus visiter. De la tombe de la grand-mère décédée aux paroles d'une tante évoquant l'amour cap-tivant d'un fi ls que la raison semble avoir abandonné, ce voyage donne corps au rêve d'Occident tout en nous éclairant sur la poésie du retour.” • Bâ oua Salâm (3/3, 2005) – “La paix sur mon père !” – revêt une dimension spirituelle. Le père cherche ses racines dans un village du Sud et retrouve la maison du Hâjj (le grand-père). Le pays n'est plus l'amour captif des souvenirs. “Photographier mon père m'a permis de ne plus porter son absence. L'image du père – que je compare au pro-phète lors de ce voyage – donne à voir l'absolue nécessité pour ma génération de ne plus vivre dans le doute ou la honte de soi.”
ARTISTE ASSOCIÉ : ABDELKADER BENCHAMMA
Les dessins de Benchamma prennent une place particulière autour des photographies. Ils disent à la fois la beauté et l'âpreté du sujet, l'amertume aussi, à égale distance entre l'affection et la perception. Pour nous ouvrir sur un univers en apesanteur – peut-être celui des rêves – ou encore vers une fuite en avant qui n'apaise jamais les personnages représentés. Le dessin questionne alors le souvenir de l'image, vient scruter ce silen-cieux passé. “Avec un dessin sobre et sensible, Abdelkader Benchamma crée un univers singulier et perturbant, ou les personnages semblent perdus, fl ottant dans un ailleurs incertain ou leurs pensées les plus improbables peuvent tout à coup devenir réalité… des réalités tour à tour oniriques, angoissantes, ou poétiques. On peut penser à Kafka, par cette capacité a faire glisser des éléments fantastiques ou absurde dans une scène ou un décor qui semble pourtant ancré dans le réel par sa banalité. D'apparence dépouillée, le dessin est exécuté directement sur papier, ou sur mur, sans esquisse préalable, ce qui lui donne cette tension, tension aussi bien graphi-que (pas de repentir possible) que narrative: les personnages semblent toujours dans l'attente d'un quelque chose d'indéfi nissable, ou justement en train de fuir ce quelque chose, ou peut-être juste en face du vide…” Marcel Khan, avril 2006 6
ANGE-DOMINIQUE BOUZET, “LE MAROC MIRAGE DE MALIK NEJMI ” LIBÉRATION
18 août 2006 Un jour, Malik Nejmi a appris de son père qu'il n'y avait pas de nom spécifi que en arabe pour désigner le Maroc. Juste “El Maghreb” : un seul mot pour signifi er le terroir, la patrie, les terres du couchant lointain, l'occident de l'Afrique et aussi son nord. C'est donc ainsi qu'il a intitulé le travail photographique, couronné du prix Kodak de la critique, que lui ont inspiré trois séjours au pays natal de son père. Il en a tiré un livre, au printemps, et, cet été, une exposition présentée à Arles. Toujours sous le même titre, porteur de manque et de trop-plein, d'intime proximité et d'insondable distance. Sur les cimaises, ses grandes photos enrobent les visiteurs de leur mystère émotion-nel. Eloquentes et elliptiques, elles exhalent des saveurs de famille et de Méditerranée. Visage raviné de mère-grand, chevelure drue de bambine au minois de faon sous un rai de lumière zénithale, sols de carrelages, murs aux teintes de sorbet. Silhouettes et regards d'hommes dans la ville. Plafonds de ciment fermés sur des ampoules électriques, rues de béton délavé, bleus de rêves. On cherche en vain, pourtant, la « ligne » d'un reportage ordinaire. L'oeil du spectateur rebondit d'un cliché à un poème, dérouté. Articulé en trois fascicules (un par “voyage”), le livre éponyme scande pareillement images et textes courts, dans un balancement de conversation secrète. Le fi l de ce travail ne relève pas du didactisme, mais de l'expression lyrique. “J'aime une approche lente. Regarder l'image se former sur le dépoli. Me concentrer sur des choses simples...” En novembre 2004, deuxième retour, cette fois pour visiter la tombe de sa grand-mère, décédée. Nejmi arpente les nuits du ramadan avec Hocine, qui a tenté l'émigration et s'est fait refouler. Il visite le village de son grand-père, dont la possible origine soudanaise lui a longtemps été cachée. Interroge ses tantes. En 2005, il sera cette fois en compagnie de son père : retrouvailles, incertitudes, portraits communs, nouvelles querelles familiales… Qu'importent ces démêlés ? Des non-dits sur lesquels il bute au milieu des siens, Nejmi extrait un suc plus essentiel, lié à la mélancolie de l'exil et à la fatalité de ses clivages. Ses photos, comme ses textes, se fondent en un seul chant : une quête identitaire, incantatoire, symboliquement adressée à la fi gure insaisissable du père.
ARMELLE CANITROT, “DÉCLARATION D'AMOUR D'UN FILS À SON PÈRE” LA CROIX
3 août 2006 Malik Nejmi – animateur d'ateliers pour favoriser le lien social dans la banlieue orléanaise – utilise ici la photographie pour renouer le lien avec sa propre famille au-delà de la Méditerranée. Ainsi, de voyage en voyage, voit-on aussi naître et s'épanouir à la fois un écrivain et un photographe hors du commun. Les images du premier voyage, très ins-tinctives et très documentaires à la fois lorsqu'elles s'attachent aux rituels du quotidien. Celles de la deuxième expédition vers le village ancestral, un portrait du grand-père en poche, puis vers Tanger, avec la rencontre d'Hocine, sorte de double contemporain du père. L'idée du livre s'impose alors, tandis que chaque soir Malik redessine les clichés pour matérialiser le scénario en train de germer. Jusqu'à ce dernier périple avec son père – enfi n –, carnet de voyage très poétique dans lequel l'image plus fl uide se libère, laisse sa chance au ciel. Illustration parfaite de la résistance de l'image à percer le secret d'un père qui a toujours évité que se télescopent le passé et le présent. 7
Malik Nejmi est un photographe “tombé du ciel”, démarche parfaite, cadre, technique, distance, tout est impeccable. Le sujet que l'on rêve de voir, un bon esprit, de la compétence, du talent, une sympathie évidente et en plus un souci d'installation. Tout cela au coeur de l'actualité de nos cultures partagées. Il vient de recevoir le Prix Kodak, je suis ravi pour lui.
TÉLÉRAMA SPÉCIAL ARLES
ENTRETIEN AVEC RAYMOND DEPARDON
28 juin 2006
Né en France, Malik Nejmi est tiraillé. Il a loué un appareil photo pour renouer le fil et mieux comprendre qui il est. Avec l'uniformisation de la planète et les déplacements massifs de populations, ce type de travail va devenir un sujet majeur de la photographie. Moi aussi, comme le père de Malik, j'avais un peu honte de mes origines, j'ai fui la terre familiale. Et aujourd'hui, je sais que c'est d'elle que je tire ma force. Il faut savoir d'où l'on vient.8
Biographie
Né en 1973, à Orléans, d'un père Marocain et d'une mère Française, Malik Nejmi est diplômé du Conservatoire libre du cinéma français et membre fondateur de la structure Images du Pôle – photographie et cinéma documentaire – à Orléans. EXPOSITIONS 2006 Rencontres Internationales de la Photographie d'Arles (cat.) “Des photographes du politique et de la société”, commissariat de Raymond Depardon CCC Barcelone “Otro mundo” (cat .) Bibliothèque nationale de France “Un autre monde” sélection d'oeuvres des VIe Rencontres africaines de Bamako 2005 VIe Rencontres africaines de la photographie de Bamako (cat.) exposition Internationale “Un autre monde”, Musée National du Mali Musée des beaux-arts d'Orléans, installation et travail sonore 2003 Biennale Fotoseptiembre, Mexico DF (cat.) Centro de la Imagen, Centre culturel Faro 2002 Galerie Images du Pôle, Orléans PRIX ET BOURSES Prix Kodak de la Critique Photographique 2005 Bourse d'aide au matériel 2005, DRAC Centre Dotation Kodak, 2004 PUBLICATIONS El Maghreb, l'oeil électrique éditions, 2006 REVUES “L'immigration n'aura pas lieu”, Africultures dossier “Migrations intimes”, oct. 2006 “Au pays de mon père”, Courrier international, portfolio, juil. 2006 “Marocains de France et d'Europe”, Hommes et Migrations, portfolio, avril 2003 “Chroniques du Bénin”, L'oeil électrique, n°18 (épuisé) “Morocco”, La Revue noire, 1999 WORKSHOPS, ATELIERS “Portraits recomposés”, correspondance artistique entre Orléans et Bamako, 2006 (éd. DVD) - “Poésies de chantier”, vidéo, Grand projet de Ville Orléans, 2005 (éd. DVD) - “Correspondances”, femmes en cours d'alphabétisation, Grand projet de Ville Orléans, 2004 - “La guerre déserte l'objectif du photographe”, autour des photographies de Fazal Sheikh, 2003 - “Nuestras Independancias”, workshop, Centro de la Imagen, Mexico, 2003 (éd. DVD)