“ L’étranger provisoire” avait déjà pour thème la mémoire et l’ailleurs. Pendant dix années d’un voyage initiatique, entre recherche d’identité et souci d’altérité, René Tanguy abordait le sentiment d’étranger : étranger aux autres, étranger à soi. Yann Le Goff, dans la préface du livre (éd. Filigranes 1998) écrit : “ Il imagine pour lui seul ce voyage comme le révélateur de ses rêves, qu’il fixe pour toujours ”. René Tanguy se réfère aussi à Fernando Pessoa : “ La vie est ce que nous en faisons. Les voyages, ce sont les voyageurs eux-mêmes. Ce que nous voyons n’est pas fait de ce que nous voyons, mais de ce que nous sommes. Nous ne débarquons jamais de nous-mêmes.”
Le second volet s’appelle “Les chiens de feu”, traduction française du nom Tanguy. Il y est encore question de mémoire et d’intime, mais aussi de passé et de présent, à travers l’album de famille revisité, “musée imaginaire et théâtre d’ombres où les figures anonymes peuplent les images de rites et de fantômes”. En parcourant les lieux de l’enfance, ceux de l’origine, René Tanguy photographie le territoire de cette mémoire familiale : “ les photographies de famille disent mon existence avant mon existence, dans cette filiation, dans cette masse d’individus plus ou moins anonymes, à qui je dois ma présence au monde. Que leur dois-je d’autre ? La conscience d’être dans une destinée commune ? Une ressemblance ? Une différence ? Ou tout simplement, et enfin, l’acceptation du temps qui marche ”.
Avec “Le chemin de cécité ”, il est de nouveau question d’arpenter les lieux de l’enfance, ceux de ce village d’Afrique où René Tanguy a vécu il y a plus de quarante ans. C’est là que sont nées ses premières émotions conscientes, là où se sont initiés ses premiers rêves d’avenir, avant que ceux-ci, au fil du temps, ne soient remplacés par les souvenirs d’adulte. La mémoire se confronte aussi à l’histoire, la sienne et celle collective de ce pays d’accueil. Il y est question de disparition, celle de son enfance, mais aussi de puissance, celle de la vie qui s’écrit dans la permanence du temps, dans cette Afrique lointaine et proche à la fois, mystérieuse et secrète, envoûtante et inaccessible.
Cette démarche s’est nourrie récemment de deux autres projets : celle d’une nouvelle déambulation à Valparaiso sur les traces de Pablo Neruda et Sergio Larrain, “du monde vers le monde, Escale à Valparaiso” , en compagnie d’Anne-Lise Broyer, où s’entremêlent là encore, littérature, exil et cheminement intérieur. Jean-Luc Germain écrit : « En duel, en partage, deux visions se croisent, se cherchent, s'épousent, s'éloignent pour mieux se retrouver. Deux regards funambules se promènent en équilibre toujours instable sur le plus fragile des filigranes : le Chili de Sergio Larrain, où l'histoire et la géographie se fondent dans une vibration poétique et universelle qui abolit le temps et l’espace ».
Le dernier ensemble, “Sad Paradise”, est consacré à l’amitié désespérée et à la correspondance inédite entre Jack Kerouac, écrivain américain et Youenn Gwernig, poète breton exilé à New-York dans les années 60. René Tanguy y rebat les cartes du voyage. Orpailleur fétichiste, il traque les miettes de destinée de ses deux « grands frères » éclaireurs, sur les deux rives de l’Atlantique, guidé par leur absence et leur présence. Comme pour ses autres travaux, tout n’y est pas certain, rien n’est arrêté, l’horizon se fait la belle et le flou, existentiel l’emporte souvent sur le point d’ancrage. On peut alors y voir un état de grâce primitive d’un monde volontairement indéfini, cueilli juste avant son effacement imminent.