Depuis le tsunami et la catastrophe nucléaire de mars 2011, Carlos Ayesta et Guillaume Bression se sont rendus à de nombreuses reprises dans la région de Fukushima et tout particulièrement dans le no man’s land qui entoure le site accidenté.
De leurs différents séjours sur place résultent six séries photographiques à l’esthétique forte qui mêlent la mise en scène et l’approche documentaire. Des photos décalées, qui permettent de penser les différentes conséquences d’un accident nucléaire de cette ampleur.
“En mars 2011, nous avons découvert, hallucinés, le no man’s land autour de la centrale nucléaire. Dans le centre-ville d’Odaka à une quinzaine de kilomètres de la centrale, le temps s’était subitement interrompu. Un canapé avait été laissé au milieu de la route, un chat regardait par la vitre d’une fenêtre couverte de boue comme s’il attendait le retour de ses maîtres, une musique ringarde continuait de résonner à l’intérieur d’une laverie automatique. Ces détails rappelaient l’urgence avec laquelle les 80 000 résidents de la zone interdite avaient pris la fuite, un territoire d’un rayon de 20 km autour du site de Fukushima Daiichi ayant été évacué en seulement quelques jours. Au milieu des villes désertes, nous croisions pourtant de rares habitants : des résidents en masque et combinaison radiologique courant affolés, des policiers un peu perdus ne sachant pas quelle instruction donner ou encore un éleveur essayant de sauver ses chevaux affamés. Plusieurs de ses chevaux, abandonnés pendant plusieurs semaines à cause de l’évacuation, gisaient dans cette étable en grande partie détruite par le séisme et le tsunami. De notre côté, nous avancions, les yeux rivés sur notre dosimètre : « C’est donc cela un accident nucléaire ». Six mois plus tard nous avons voulu convertir ce choc initial en un projet artistique personnel. « Fukushima no go zone » était né. Ce travail au long cours allait durer six ans et nous a conduit à de multiples reprises dans la zone interdite de Fukushima.
Notre première photographie a été prise en décembre 2011. Munis d’une combinaison radiologique et d’un laisser passer, nous avons pu franchir le check-point, à 20 km de la centrale nucléaire. Les activités journalistiques et artistiques à l’intérieur de la zone interdite étant strictement limitées, nous étions habités par la menace d’une interpellation par la police.
Pendant toute la durée de notre travail à Fukushima, la peur des autorités l’a finalement emporté sur la crainte de la radioactivité qui représentait à nos yeux un danger moins palpable et immédiat.
Tard dans la soirée, nous avons rejoint la gare de Tomioka, à 7 km de la centrale nucléaire et qui avait été entièrement submergée par le tsunami. Au milieu des rails, notre lampe frontale a éclairé une épave de voiture. Cette apparition inattendue – symbolique pour nous du tsunami et de l’évacuation des habitants – a donné lieu à la première photo de la série « A no man’s land ». Et d’une certaine façon, elle a donné le ton à tout notre travail photographique.
Depuis lors, nous nous sommes attachés à déplier une à une les conséquences de cette catastrophe nucléaire, la plus grave depuis l’accident de Tchernobyl en 1986 : les villes et les campagnes vidées de leurs habitants, la peur de la radioactivité, la question difficile du retour, la nature qui reprend ses droits en l’absence de l’homme et les quantités astronomiques de déchets pollués issus de la campagne de décontamination lancée par les autorités japonaises.
Ce travail photographique est notre contribution au récit d’une catastrophe historique. L’accident est loin d’être terminé, ni à la centrale, ni parmi les réfugiés du nucléaire. Et nous espérons continuer à témoigner de cette page triste mais également riche de l’histoire de la région de Fukushima.”
Carlos Ayesta - Guillaume Bression