Mardi 13 Septembre 2016 11:34:19 par Alix Joly dans Expositions

Communiqué de presse de la Galerie Annie Gabrielli

Shannon Guerrico aime les histoires et les mythes tout autant qu'elle se plaît à les forger. Ses précédentes expositions à la galerie Annie Gabrielli en avaient déjà attesté. Alors que peut devenir l'Islande, lieu de sa récente résidence nomade, vue à travers le prisme de sa sensibilité, façonnée par ses origines plurielles, ses rencontres et ses inclinations artistiques ?

Dans l'imaginaire collectif, cette terre de glace se caractérise par de vastes et sereines étendues naturelles, que le tumulte des volcans et des geysers vient parfois animer, et par le peu d'âmes humaines qui y vit. Grâce à un ensemble de photographies, sculptures, papier peint, édition et objets, l'artiste en livre ici une autre lecture, dans laquelle l'invisible le dispute au visible, et où la réalité est ébranlée par l'émergence de mondes cachés et de croyances populaires enfouies. Si l'artiste a délibérément élargi le champ de sa pratique, c'est sans doute pour s'accorder à la richesse de cet espace, aussi lointain qu'il est singulier, et dont le déploiement en de multiples facettes se devait de trouver un écho plastique à sa mesure.

©SHANNON GUERRICO

Représentations animalières sculptées et photographiques, images de paysages terrestres et célestes -les scanners des ciels irisés mais jamais bleus-, fragments de réel prélevés et dessins stylisés, voisinent et dialoguent. La précieuse éponge cristallisée s'unit au bois brut, l'animal rencontre le minéral, la force du viking se mue en fragilité, l'immensité est piégée dans un format réduit, la fugacité s'éternise en instantanés colorés, l'immuabilité devient précaire, la figuration se perd en abstraction alors que la familiarité se pare d'étrangeté. A n'en point douter, une surnaturalité surgit de ce jeu de rapprochements et de tensions. Au-delà ou par-delà les apparences...
La mise en espace et la présentation choisies invitent assurément à la déambulation. Quelques clés étant données par l'artiste, à charge pour le spectateur de vagabonder d' œuvre en œuvre pour définir sa géographie propre et élaborer sa mythologie nordique personnelle. Habiter et incarner ces éclats de récits et de territoires, voilà l'invitation faite par l'artiste pour qui est prêt à s'engager dans le voyage qu'elle suggère à chacun de recomposer. Shannon Guerrico le sait bien, c'est en maintenant le sens en suspens qu'elle peut faire sourdre l'imaginaire et autoriser toutes les lectures, les interprétations. Il faut que l'art laisse à désirer comme aime subtilement à le dire Marie-José Mondzain.

Ainsi, chaque pièce de Bifröst, telle un catalyseur de mémoire et de fiction, ravive poétiquement les histoires ancestrales sur les mondes aériens et souterrains, de là-bas comme d'ici, qui résonnent avec les récits universels sacrés et les légendes païennes inscrits en tout un chacun. Hésitant entre le cabinet de curiosités et la salle de musée d'ethnographie, l'exposition offre bien des espaces interstitiels où s'immiscer pour passer de l'autre côté du miroir, dans un monde parallèle et mystérieux. Mystique peut-être.

©SHANNON GUERRICO