©ELAINE LING
Voyageuse et photographe infatigable, violoncelliste de renom et médecin réputé, Elaine Ling qui s’est éteinte en aout dernier était une aventurière. Née à Hong Kong, elle vivait au Canada depuis l'âge de neuf ans. C’est à cette époque qu’elle découvre les grands espaces canadiens, et son attirance pour la Nature. Elle a étudie le piano, le violoncelle et... la médecine. Médecin diplômée de l'Université de Toronto, elle a exercé parmi les différents peuples des Premières Nations du Nord et du Nord-Ouest du Canada, puis à l’autre bout du monde, à Abu Dhabi et au Népal.
Recherchant la solitude des déserts, des architectures abandonnées et des anciennes cultures, Elaine Ling explorait l'équilibre fragile entre la nature et les hommes. C’est en photographiant les déserts de Mongolie, de Namibie, d’Afrique du Nord, d'Inde, d'Amérique du Sud, ou encore d’Australie, mais aussi les citadelles de Persépolis, du Machu Picchu, d’Angkor, et les centres bouddhistes du Laos, du Tibet et du Bhoutan... qu’elle parvint à capturer ce dialogue.
©ELAINE LING
Inhospitalière mais d’une beauté austère, la Namibie surprend. L’attrait particulier se retrouve dans l’immensité et la splendeur de ses paysages sans fin, très peu peuplés. Le Namib, qui signifie « vaste plaine aride où il n'y a presque rien » en langage nama, est un désert aux couleurs ocres et aux hautes dunes sculpte?es par les vents dominants. La vie a dû s'adapter pour subsister.
Dans le Sud-Ouest de la Namibie à dix kilomètres de la côte atlantique, montée sur une petite colline, se trouve Kolmanskop, une ville minière abandonnée. Le sable s’engouffre partout, à travers les portes, les fenêtres, les trous béants des toits... recouvrant petit à petit toute trace de présence humaine, celle de mineurs allemands. Sur ces photos, aucun humain n’est visible et tandis que que les photos touristiques classiques de Kolmanskop nous montre l’Absence, son travail met en exergue la Présence.
Le papier peint sur les murs, un évier rempli de sable dans une chambre, le rayonnement intense à l’intérieur des habitations de ce qu'elle appelle la «lumière hurlante...» C’est l’omniprésence de l'humain qui transforme cet espace désertique en un lieu mythique.
©ELAINE LING
Le sens du « mythe éclairé » de Elaine Ling qui vient de nous quitter et que nous avons eu le plaisir d’exposer pour la première fois en France en 2014, rapproche son travail de celui de Linda Connor et son utilisation de cadres, de celui de Mark Klett aussi ; comme eux, elle évite de surcharger ses images d’une ironie postmoderne.
Son travail n'est pas un jeu de mots intellectuel. Il nous présente le véritable paradoxe sur la façon dont le passé et le présent s’influencent, comment nous appréhendons et comprenons le passé par rapport au présent.
Dans une image de cette série, où le sable se courbe à travers une porte et ondule vers l'obscurité du fond de la pièce, un tressaillement nous envahit. Ici, la désolation de la pièce et l'espace imaginaire créé par la photographie, sont tous deux encadrés par une porte blanche rayonnante. Quelque chose nous attend là-bas, où l'homme rencontre le monumental.
Les images du Docteur Elaine Ling ne sont pas moins chargées de mémoires révélées dans ce silence immobile de la lumière et du sable qu’elles ne racontent du désert de Namibie.
Violoncelliste de renom, c’est un point d’orgue infini que ses images de l’œuvre du vent nous font entendre. Enfouissant dans ces fragments de maisons désertées les traces de l’humain sous la matière première du sable, elle raconte, comme une revanche de la nature, les territoires de l’espace et de l’ombre que nous savons de l’expérience du monde.
©ELAINE LING