© Anne-Claire Broc'h et Gilles Pourtier
« L’exposition Before Science propose 34 photographies toutes prises dans la vallée du fleuve Agly, dans les Pyrénées Orientales. Ces images sont très diverses. On y voit des paysages naturels, des paysages altérés par les Hommes, des agriculteurs au travail, quelques portraits d’enfants ou d’adultes, quelques bâtiments ou portions de bâtiments, un serpent. Mais l’épine dorsale en est un ensemble d’images prises en studio, en couleurs, montrant des roches de la région, soutenues par une main de femme devant un fond uniforme. J’ai expliqué ailleurs comment la froideur de la prise de vue du minéral contrastait avec cette présence humaine. Ce qui aurait pu être un cliché extrait d’un ouvrage de minéralogie se trouvait projeter dans un espace extra ou pré scientifique par cette présence charnelle. Hypothèse confortée par le titre de l’exposition.
Je voudrais aborder ici le rapport entre ces images et les autres photographies de l’exposition. L’hypothèse que je fais est que les autres photographies viennent se glisser dans le petit interstice qui sépare les minéraux de la peau de la main qui les soutient. Car le contraste entre la main et la pierre, n’est pas seulement celui ente le minéral et le vivant, entre le chaud et le froid, entre le dur et le doux, c’est surtout un contraste temporel. Quelques millions d’années – la durée exacte est donnée pour chacune d’elles – sépare la naissance de ces pierres de celle de cette main. Durée aux Hommes guère pensable, mais qui ne fut pas une durée vide. Une chaîne géologique, biologique, humaine et sociale explique comment on est passé de l’un à l’autre puisque notre corps est fait d’atomes qui furent plus ou moins tous incorporés un jour à la matière inerte. Chaîne dont les maillons sont, dans cette vallée, tous baignés par l’eau du fleuve. C’est ce récit diffus que nous propose l’ensemble des images. Le minéral s’entasse en paysages que sillonnent les rivières qui viennent les éroder. La forêt croîtra sur le substrat ainsi formé. Les animaux, venus de la mer, y prospéreront ; ici, le serpent. Puis l’homme viendra y creuser ses sillons pour y planter une végétation maintenant géométrisée. Il érigera des huttes dont il ne reste plus que des souvenirs dans les jeux d’enfants. Il maîtrise le feu. Il taillera des pierres pour dresser des murs et des bâtiments. Parfois pour défigurer les plus belles vallées. Les hommes travailleront, prieront comme dans l’Angélus de Millet, ils auront des enfants qui nous regarderont, nous les adultes, d’un air étonné ou suspicieux. Parfois, ils traiteront leur propre corps guère mieux que le paysage.
© Anne-Claire Broc'h et Gilles Pourtier
Cette diversité des images est celle du monde. La diversité de leur forme (format inégal, présentation verticale ou horizontale, en couleur ou en noir et blanc) renforce cette idée. Dans un paysage comme celui d’une vallée pyrénéenne, on n’oublie pas facilement que l’on vient de la roche et de l’eau. Les photographes nous en ont fait le récit. Quelques centaines de millions d’années en 34 images.»
Jean-Claude Liehn, Céret 2015