©courtesy agnès b.
L’exposition explore la relation de l’art contemporain avec la nourriture. Elle propose des installations, des sculptures, des photographies et des vidéos autour du thème culinaire, où l'éthique et l'esthétique sont bousculées, interrogées ou décortiquées. De la production à la consommation, les artistes s'interrogent et prennent pour matière nouvelle les aliments et leurs capacités plastiques et symboliques. De la racine à la fourchette, la révolte est dans l’assiette. Les artistes contemporains, sensibles au monde actuel en bouleversement, proposent des interprétations sur notre attitude vis-à-vis de l’alimentation. L'art contemporain permet d'aborder des sujets qui concernent la planète par le biais d’exemples au plus près de notre vie quotidienne. La table a toujours évoqué les comportements de société, et l’histoire de l’art ne manque pas d’exemples, du faste à la pauvreté. Les repas de l’artiste suisse Daniel Spoerri sont le reflet d’uneépoque bouleversée. Depuis la création du courant Eat Art en 1970, de nombreux artistes se sont inspirés de matériaux comestibles voire de déchets. Le sujet est alimenté par les contestations anticonsumérisme, antiglobalisation. Les œuvres mettent en valeur la nature qui nous entoure et bousculent les comportements de dépendances.
La préparation, la distribution, la manipulation et la présentation de la nourriture sont abordées par les artistes. De la terre à la table, les œuvres diverses proposent un voyage autour de ce thème qui sensibilise tout individu.
L’exposition propose un regard acéré sur les mutations jusqu’à la création culinaire, et réunit seize artistes sur le sujet : Agnès b., Michel Bouillon, Marie José Burki, Martine Camillieri, Latifa Echakhch, Olivia Frémineau, Dinah Fried, Erwan Frotin, Alexandre Gauthier, Wolfgang Laïb, Lang/Baumann, Aline Morvan, Emma Perrochon, Lina Tornare, Nicolas Tourte.
Les artistes Lang/Baumann installent Comfort, une bulle géante sur le bâtiment qui met en perspective le patrimoine avec son usage actuel. Au-delà de la simple qualité plastique du sujet, les artistes recherchent également, dans le traitement du thème, à illustrer la fragilité des choses, leur précarité.
L’installation de Latifa Echakhch, Principe d’économie I, est composée d’une vingtaine de pains de sucre disposés sur le sol. Ce matériau modeste, périssable, comestible nous relie immédiatement au quotidien, mais l’artiste détourne sa symbolique. En examinant l’ensemble, ces petites sculptures blanches s’alignent comme des tours d’immeubles posés là en ordre bien défini. La simplicité qui s’en dégage nous perturbe et nous incite à expérimenter l’œuvre avec les maigres indices et l’imagination de chacun, les interprétations varient à l’infini.
Wolfgang Laïb utilise des matériaux naturels en s’interrogeant sur le dialogue entre nature et culture. Exigence, radicalité et patience animent cet art sans compromission. Pour l’artiste, le retour aux sources est essentiel avec les matériaux issus de la nature ; riz, lait, pollen, cire d’abeille, choisis pour la création de ses œuvres, incitent à la contemplation. Reishaus fait partie d’une série initiée lors d’un séjour en Inde du Sud. La maison et le riz, choisis pour leur symbolique, rappellent les rituels d’offrandes. Ici, la blancheur translucide du riz est en opposition avec le noir profond du bloc de granit.
Agnès b. présente des photographies personnelles inédites qui nous révèlent ses goûts, son style unique. La simplicité qui s’en dégage évoque les natures mortes de Georgio Morandi.
Ses photographies traitent du quotidien, il s'agit d'objets familiers (fruits, légumes...), ceux sur lesquels le regard s'est habitué à glisser. La tradition de la nature morte est bien vivante. Depuis le XVIIe, la représentation des fruits et légumes met en valeur la richesse de ces aliments. Les Fruits (1653), de Michel Bouillon est une peinture issue de la collection du musée des Beaux-Arts d’Arras. Le détournement est l’un des ressorts de la création contemporaine.
Emma Perrochon présente sa série Marées initiée lors de sa résidence à La Brasserie dans le cadre d’un échange avec le FRAC-NPDC. Ses sculptures sont inspirées par le contexte et l’identité de ce territoire. Objet de son attention, une saucière est reproduite, à partir d’un modelage, avec divers jeux de moulage et d’émaillage. Cet ensemble interroge et détourne les gestes et usages communs à la céramique et à la cuisine. Présentée de manière frontale, la série donne à voir les jeux de matières, mates ou brillantes, les coulis d’émail en suspension, les craquelures de la terre en séchage. Cette perspective donnée à l'objet qu'est la saucière en révèle toute la symbolique féminine.
Tandis qu'Aline Morvan épluche la matière brute avec Épluchez. Cette œuvre délicate et raffinée, élaborée à partir d'un matériau minéral et composée de milliers d'épluchures de terre cuite enfumées, nous renvoie à la notion de fragilité. L’aspect gris graphite de l’enfumage a tendance à tromper le spectateur sur la nature du matériau, qui paraît mou mais qui est solide, bien que très fragile. L'idée première de ce travail est une réponse à une réflexion de Michel Ange, qui nous dit que le sculpteur ne fait que révéler une forme déjà présente dans le bloc de marbre. « J'ai substitué le bloc de marbre au bloc de terre, que j'ai épluché jusqu'à épuisement à la recherche vaine d'une forme », précise l’artiste. L'amoncellement des épluchures, des "rebuts", devient sculpture.
Face à la surpopulation et les dérives alimentaires, s’érigent les mouvements anticonsommation, et l’engouement pour la diététique, le végétarisme... Certaines œuvres reflètent les attitudes de notre société de consommation, d’autres s’amusent des habitudes de notre vie quotidienne, mais toutes stimulent l’imagination.
L'attitude contestataire de Martine Camillieri alerte le public sur la consommation de produits industriels. Ses plateaux repas décortiquent les messages publicitaires de notre société desurconsommation. L’installation Wild Food, les nourritures féroces, présente des pièces jouant sur l'ambiguïté des messages. Elle révèle notre fascination pour les plats tout prêts mis en scène dans les publicités et distribués dans les hypermarchés. Par une approche artistique, elle utilise des objets en plastique très coloré, en équation avec des slogans publicitaires ironiques et alarmants sur notre consommation toxique et le non respect de l’environnement. Elle nous suggère un retour aux sources salutaire.
Erwan Frotin révèle, avec Flora Olbiensis, des spécimens de la flore sauvage comestible. Ses photographies couleurs évoquent le travail en noir et blanc et détaillé de Karl Blossfeldt. À la recherche de plantes et fleurs sauvages, Erwan Frotin incite à une requalification de ce qui était jusqu’à présent relégué à la destruction ; les mauvaises herbes. Le photographe parvient à préserver de l’oubli des plantes destinées à l’abandon. Il explore des espaces libres voués à disparaître comme un territoire vierge, et découvre ses richesses camouflées.À la manière d’un herbier, il répertorie les plantes comestibles et leur donne une nouvelle identité/portrait.
Avec la pensée des artistes, tout peut être renversé, réévalué sous un angle différent.
Les oiseaux traversent régulièrement le travail de Marie José Burki depuis le début des années 1990. Ils s’y retrouvent sous une forme ou une autre : nommés, crus ou cuisinés. Poules, pintades, dindes, oies, canards, chapons, coquelets, pigeons, avant de finir dans nos assiettes sont des volatiles. Leur dénomination change ; de volatiles, ils deviennent de la volaille. La vidéo Chicken enregistre ce passage, filme la découpe de l’animal à fin de fricassée. Chicken rend compte de la transformation par les mains expertes du chef, du corps de la bête en nourriture, prête à cuire.
L'humour est aussi au menu avec la vidéo Lacté de Nicolas Tourte sur la surabondance du lait qui s’écoule sans fin et nous met face au gaspillage. Cette œuvre montre le balancement entre l’éloge du simple et la profusion qui nous entoure. L’artiste utilise la photographie et les installations vidéo pour interroger le quotidien. L’eau, le lait, les éléments liquides en général, occupent une place importante dans son œuvre.
© Olivia Frémineau
moule frite, photographies, 2014
La baraque à frites d’Olivia Frémineau nous tient au chaud, au pays de la pomme de terre. Ses compositions subtiles s’amusent avec la représentation des aliments courants.
© Dinah Fried
Lolita, série Fictitious dishes, 2012
La série photographique Fictitious Dishes de Dinah Fried évoque des plats imaginaires faisant référence à des œuvres romanesques d’auteurs mythiques. À table ! avec Flaubert, Kerouac, Proust...les détails de ses natures mortes nous invitent à relire nos classiques.
Alexandre Gauthier, le chef du restaurant La Grenouillère, au bord du fleuve La Canche, met en scène la flore et la faune de notre région avec ses créations culinaires en référence avec l’art contemporain.