Singapour, Singapour © Alain Pras
Maison Européenne de la Photographie 5, 7 Rue de Fourcy 75004 Paris France
Ces endroits, ces autres faces de la cité, ces cathédrales du XXe siècle vouées au culte du progrès, du mieux-vivre, de la modernisation, Alain Pras les ausculte avant tout dans leur dimension plastique et graphique, trouvant en eux une esthétique évidente et pensée. Leurs couleurs et leur enchevêtrement répondent à de mystérieux codes, forcent son admiration pour le génie humain qui les a érigées dans le but avoué de faire progresser nos sociétés et par là même notre façon de vivre. Dénominateur commun de notre planète, les usines et les ports donnent à voir leur universalité, leur architecture commune quel que soit l’endroit, en une unité qui doit tout à l’homme qui les a construits dans une étonnante complexité dont l’ordonnancement fascine. On les regarde, on les admire, on les visite de plus en plus.
Depuis plus de 40 ans, armé de ses boîtiers et de sa curiosité, Alain Pras a parcouru la planète pour simplement nous interpeller et nous offrir de contempler autrement ces lieux que nous regardons trop souvent et seulement à l’aune d’un mal que l’ont qualifie généralement de nécessaire. Leur beauté évidente et leur construction étonnent. Leurs mystères comme leur destination ne doivent pas nous échapper, nous dont les sociétés sont le fruit de leur production, de leur vie qui bat au rythme de leurs soupirs ou de leur vacarme, incompréhensibles souvent, indispensables pourtant. Le but d’Alain Pras n’est-il pas de nous réconcilier avec leur évidente beauté que certains avant lui, des futuristes aux artistes de l’école de Düsseldorf, ont célébrée en leur temps ? Ici, c’est une part importante de notre monde qui nous est montrée. Des lieux de lutte, de bonheur, d‘espoir, de camaraderie, d’avenir, de mémoire et de progrès.
Belgique, Anvers
© Alain Pras
INTERVIEW D’ALAIN PRAS
par Alexandre Grenier
Qu’y a-t-il de si fascinant dans ces usines, ces ports et ces sites industriels ?
Ma fascination est à deux niveaux. J’ai été chef d’entreprise dans l’industrie et la photo étant ma passion, j’ai pu l’assouvir grâce à mes déplacements dans les usines à travers monde. C’est dire si le tissu industriel revêt pour moi une grande importance. D’un point de vue technique déjà. Ces constructions sont l’apanage du génie humain, ce sont des créations de l’esprit, du savoir et de la technique dans le but d’améliorer la vie des hommes. Elles sont la résultante de la marche du monde. Depuis les premières fonderies de l’Antiquité et celles installées chez nous par les moines chartreux au Moyen-Âge en passant par les manufactures du XVIIIe siècle et la révolution industrielle, le monde continue de progresser et ces sites en sont l’étape actuelle. D’où ma fascination pour la savante orchestration de ces machines élevées par l’homme.
Il y a aussi une évidente démarche artistique dans votre travail.
Oui, et même avant tout. L’autre fascination provient de mon métier même, de cette appétence que j’ai pour une certaine mise en oeuvre graphique et visuelle des techniques. Je rejoins en cela les tenants du néo-plasticisme comme Mondrian et naturellement les futuristes italiens comme Balla, Boccioni ou Carrà fascinés par ce monde industriel qui signait le début du XXème siècle, mais aussi et surtout par le photographe Félix Thiollier, bien oublié de nos jours, l’Américain Charles Sheller et cette école de Düsseldorf qui nous a donné le couple Becher et aussi Gursky, Ruff ou Struth qui ont fait, de cette rigueur, des constructions plastiques et ont porté sur leur environnement un regard nouveau. Autre que celui habituellement admis comme étant du domaine du beau. De plus, la complexité souvent indéchiffrable de certains ensembles tend à faire de ces clichés des oeuvres presque abstraites qui sont alors de véritables et indéniables propositions plastiques. Il y a une mise en cadre de ces éléments qui peut s’apparenter à la composition d’un tableau, voire d’une installation.
USA, Nouvelle Orléans
© Alain Pras
Mais ces sites sont souvent regardés et analysés comme étant non seulement disgracieux, mais surtout ils sont jugés en fonction de leur impact – réel ou supposés – sur l’environnement.
Oui effectivement c’est souvent ce qui ressort en premier lorsqu’on aborde ce type de site. Si la notion d’environnement – qui est assez récente et date des années 60 – a pu mettre en cause beaucoup de ces sites par le passé, il faut aussi savoir que depuis de nombreuses années les réglementations, les inspections et la volonté des industriels les ont rendus très propres et non polluants. Je parle naturellement pour le monde occidental car malheureusement ce n’est pas toujours le cas dans beaucoup de pays qui n’ont pas encore légiféré sur les impacts environnementaux. Mais, comme toujours, on en revient à la notion de progrès et de développement de ces pays, ce qui peut se comprendre mais n’excuse pas tout. Des progrès énormes sont à faire et ils se feront car la conscience écologique gagne, fort heureusement, du terrain chaque jour.
Il semble pourtant que le regard change…
Oui, avec un exemple tout simple : celui du tourisme industriel. Les ports et les usines sont de plus en plus visités et lorsqu’on prend la peine d’expliquer leur finalité et leur importance, le regard évolue. Il faut donc voir tout cela comme étant – toutes proportions philosophiques ou religieuses gardées – les cathédrales de notre siècle, des cathédrales vouées au culte du progrès et de la science sans laquelle nous ne saurions vivre aujourd’hui. Regardons notre quotidien et voyons tout ce qui sort de ces usines et qui nous rend la vie plus facile, tout ce que nos échanges gagnent de l’organisation des ports, tous les emplois générés par cette révolution et posons-nous la question de savoir si nous pourrions abandonner tout cela.
L'exposition aura lieu du 6 avril au 5 juin 2016 à la Maison Européenne de la Photographie
Ouvert du mercredi au dimanche de 11h à 20h
Plein tarif : 8 € / Tarif réduit : 4,5 €
Entrée grauite le mercredi de 17h à 20h