Expositions du 22/09/2006 au 28/10/2006 Terminé
Galerie Les filles du calvaire 17, rue des Filles-du-Calvaire 75003 Paris France
Paris
Exposition du 4 novembre au 22 décembre 2006
Vernissage le samedi 4 novembre de 15h à 21h
Dans le cadre du Mois de la Photo à Paris
1996 -2006, soit dix ans de collaboration avec Catherine Poncin, plus d'une douzaine de travaux personnels ou issus de commandes et d'invitations et déjà six publications1 nous ont donné l'envie de lui consacrer un temps d'exposition important avec une rétrospective de ces dix années à Bruxelles et une exposition de deux séries récentes dans le cadre du Mois de la photo à Paris dont le thème, la page imprimée, sied à merveille à son travail. Et qu'elle reprenne son terme fétiche de l'image par l'image comme titre générique illustre parfaitement son projet artistique.
En effet, cette artiste particulière raconte des histoires sans avoir recours à l'écrit car elle s'est inventée sa propre écriture à travers le champ photographique en prenant pour principale matière première les images des autres. Ecriture que Paul Ardenne qualifie fort justement de post-photographique car elle « re-crée » une œuvre à partir de fragments d'images préexistantes qu'elle sélectionne à partir d'un amoncellement d'images glanées dans les archives de collectivités, de musées et de presse, dans des fonds d'entreprises ou familiaux, voire aux marché aux puces ou bien encore, à l'étranger, lors de voyages de recherche et de prises de contacts qu'elle peut inciter, parfois, par voie de petites annonces.
Les histoires qui en résultent semblent re-qualifier ce matériau, donner une vertu différente à ces micros fragments dont l'artiste transforme la nature en les agrandissant, leur conférant une indicible mais puissante qualité tant formelle que narrative. Le sens profond de ces narrations reste pourtant distant parce qu'il est sans doute intrinsèque à l'univers de la créatrice et parce que le spectateur se trouve dérouté par une sorte de renvoi dialectique de la charge potentielle de l'image vers une possible filiation, appartenance, à l'histoire personnelle de tout un chacun.
Bien plus de dix ans, en effet, que Catherine Poncin « re »fabrique des histoires, des vies peut être, à tel point que parfois on peut penser qu'elle cherche l'échange dans ce qu'elle communique, raconte. Pour autant, ce n'est pas si sur, car si échange il y a, Catherine ne nous parle pas directement, son histoire est déjà dite, elle l'a déjà vécu de son coté, au spectateur d'en inventer une autre pour lui. L'histoire est là, à sa disposition à condition qu'il re-parte de la sienne, de ses propres souvenirs et sentiments de la grande et la petite histoire. Il y a d'ailleurs, comme souvent, erreur sur l'interprétation de cette œuvre pour celui qui veut comprendre sans sentir, sans s'impliquer. Parfois, on peut ainsi juger que ce travail est de l'ordre du cénotaphe puisqu'il part de traces mémorielles, d'une réutilisation de ce qui « a été ». Mais c'est un contresens, car c'est une renaissance et non une mémoire ad-memorium qui est célébrée, c'est une deuxième voire une troisième vie (si l'on tient compte de celle du spectateur) qui sont engagées à chaque présentation.
D'ailleurs je me demande parfois, quand Catherine me raconte son investissement plus que personnel et sa manière intense d'aborder un travail qui tient pour une bonne part de rencontres d'esprits et de charges émotionnelles dont elle se sent tout à coup investie, si telle une chamane, elle ne possède pas une sorte de pouvoir de résurgence thérapeutique voire quasi mystique de notre mémoire et nos désirs enfouis. Un peu comme ces sorcières de l'ancien temps que l'on brÛlait jadis car on ne comprenait par leurs vertus et qui, de nos jours, ont tant d'admirateurs.
Et il n'est d'ailleurs pas anodin que l'artiste soit souvent sollicitée2 pour faire revivre un fond d'archives, l'histoire d'une ville ou d'une couche sociale, telle une guérisseuse de cette mémoire en perdition dont on sait que faire, malgré sa vitale importance.
Les deux séries présentées à Paris sont ainsi issues de deux commandes : Du champs des hommes, territoires, commande de la Ville de Bobigny et Palimpseste, commande du Château Fernay Voltaire. Elles évoquent des histoires bien différentes l'une urbaine et sociale, l'autre intellectuelle et humaniste mais dans les deux cas la signature est élégamment présente.
En effet, au delà de cet étrange et attachant personnage que cette artiste a fini par incarner au fil des années pour ceux qui la fréquente, ce qui en résulte c'est un travail formellement magnifique qui décuple la force, le pouvoir et la beauté du photographique. Depuis quelques années, l'image est passée d'un lumineux grain noir et blanc du baryté à l'usage de la couleur mais toujours dans une explosion de la matière, dans l'usage des failles, des décoloration et des blessures de l'image comme si le défaut était plus signifiant que le sujet lui-même. L'association des images en diptyque, triptyque, polyptyques horizontaux ou stratifiés crée le fil narratif, la mise en scène pourrait-t-on dire. On n'est plus très loin, d'ailleurs, de l‘idée de scénarii pré-cinématographiques qui tentent tant de photographes, mais je crois que le silence de l'image, pourtant si volubile, confère un statut privilégié à ce travail parmi le foisonnement des images contemporaines, l'investissant d'une dignité existentielle, d'une indicible aura, si particulière à ce travail.
Christine Ollier
1Editions
2006mamèr.moi – dvd vidéo – collection point sur le i - Editions Incidences (à venir)
2006Vis à Vis Editions Filigranes (à venir)
2006 VertigesEditions .Filigranes (à venir)
2005 Eclats, Editions Filigranes
2004 Sans conte ni légende, Ed. Filigranes / Hors-Champs
2001 Du champs des hommes, territoires, Editions Filigranes
2000 Catherine Poncin, monographie, texte de Paul Ardenne, Editions Filigranes
1999 Détournement d'intention, co-édition l'œil Ecoute et Editions Filigranes
2 Commandes publiques pays
En cours :
Commande sur les archives Alstom - Conseil Général de Belfort, France
Commande du Centre Culturel Français de Constantine, Algérie
Commande Synesthésie et le du Conseil Général de la Seine-Saint-Denis, 93 et, France
Commande de la Médiathèque Intercommunale de Miramas, France
Centre Culturel Francais et lycée A.Dumas d'Alger, Algerie, 2006
Ecomusée de Fresnes, Musée des Pays de Seine et Marne, 2003
Mai de la Photo, Quimper, France, 2003
Palimpseste, Auberge de l'Europe, Fernay Voltaire, 2002
Rocca De Baldi, Provincia di Cuneo, 2002
Du champ des hommes, territoires, Ville de Bobigny, Seine Saint Denis, 2001
Eaux d'ici, au-delà, Rencontres photographiques de Lectoure, 2000
Corps de classe, Musée Dauphinois, Grenoble, 1999
Clair Oscur, mémoire de fosses, Coproduction tourcoing, Sallaumines, 1999
Détournements d'Intention, Association l'œil Ecoute-CR, Drac Limousin, 1996
Entre actes, E.A.P, Municipalité de Chatellerault, 1994
Catherine Poncin post-photographe
Photographe, Catherine Poncin ne l'est pas au sens strict. Son activité, en revanche, la qualifie bien mieux comme « post-photographe ». Qu'entendre par là ? Catherine Poncin, plutôt que photographier, rephotographie. L'appareil-photo ne lui sert pas à capter la réalité, il n'a pas vocation à « écrire la lumière », n'est jamais utilisé comme matériel d'enregistrement de la réalité. Outil mécanique, en revanche, voué ici à l'emprunt, à l'appropriation : images déjà existantes, images appartenant au vaste territoire du monde trouvé, images disponibles dont la boîte noire va s'emparer et dont Poncin fera son bien photographique, par adoption. « De l'image par l'image », dit d'ailleurs l'artiste de sa méthode, avec sobriété.
Précipités
Polysémie Memoria, vaste ensemble photographique du début des années 90. L'artiste précise son propos, construit, dit-elle, « à partir d'images anonymes trouvées sur les marchés aux puces » : « par détournements, fragmentations, anamorphoses de l'image de référence, la création de photographies ayant pour thèmes le portrait et le paysage ». Pour le spectateur, des clichés noirs et blancs, vues fragmentaires de portraits de groupe ou de scènes prises sur le vif, le tout ancien, daté, et cette impression immédiate : l'image offerte au regard se révèle d'un même tenant trouvée et retravaillée. Précision, si besoin était : image trouvée à la seule fin d'être retravaillée.
Du Nous : le titre suggère quelque réalité qui nous appartient, collective, partagée. […]
Index-Indices : s'en tenir, cette fois, au seule titre de l'œuvre. Tout entier, le rôle du « rephotographe » ou du « post-photographe » se résume dans cet intitulé : indexer des indices, mettre de l'ordre dans une réalité à l'état de morceaux, de fragments épars, mener une enquête à partir d'un matériau servant de base à une instruction. Rien de précis pour autant, et bien peu à voir avec l'enquête policière ou l'instruction judiciaire, visant l'une comme l'autre la reconstitution. […] Ne nous y trompons pas : les images restent des simulacres, des formules, des précipités.[…]
Le « retour à »
Autres titres de séries photographiques orchestrées par Catherine Poncin : L'indicible, Entre-acte s, Clair-obscur, mémoire des fosses, Corps de classe… Même position à la croisée du sens, que l'image se destine à inventorier d'anciennes vues d'abattoirs ou qu'elle se révèle débitrice de l'univers du théâtre, de la mine, de l'école. Que le travail de Catherine Poncin ne s'ordonne que par séries photographiques, tout compte fait, ne surprend guère. Objectif implicite d'une telle pratique: non une bête multiplication des signes mais une pulsion au ressaisissement, à la captation toutes sphères de la réalité confondues. Faire que tout ne soit pas perdu, quand bien même l'essentiel l'est. De tels titres ne cultivent pas l'équivoque. S'ils suggèrent que la réalité n'est pas donnée d'être simplement reproduite, ils postulent aussi pour la possibilité de l'anamnèse.
L'anamnèse, l'image : ce couple, autant le dire, est infernal. L'image, par nature, esthétise, là où l'anamnèse devrait se suffire de citer. Sans doute l'image sert-elle la mémoire, ressert-elle les plats, mais elle sera alors comme folle, portée à opérer dans le désordre ou dans l'excès. Avec cette conséquence fréquente et détestable, la nostalgie, l'enflure commémorative voire la ferveur rétro, ce kitsch de la commémoration (ce gentil monde que nous avons perdu…). Conséquence, chacun le verra, que Poncin contourne par sa manière unique de dépecer les images trouvées, dépeçage interdisant une trop franche identification ou l'abandon charmé du regard. Que Poncin, encore, surmontera par un art consommé à faire de l'image fugace remontée du passé une icône, une inscription, une image-temps. Du visible ponctionné, remonté d'un temps incertain ou méconnu puis figé là, appelé à durer. […]
De la consultation
Entre toutes les formes de consultation, celle de l'album photographique familial, moment éminent de l'acte de « retour à », fournit à propos d'un exemple éloquent par ses allers et venues codés, ses attentions calibrées et ses surprises préméditées. Signe en l'occurrence, de l'organisation toujours stricte du processus du « revenir », de la conspiration même que la mise en forme de ce dernier n'est jamais loin de représenter. L'émerveillement (je fus celui-là), la flatterie (tu étais si bien, alors), l'effroi (comme tout ceci est loin, à présent) sont ici des sensations ordinaires, on dirait même : des sensations recherchées, dont on quête avec fébrilité l'activation. […]
Ce que choisit de représenter Poncin, en l'occurrence, n'est pas une histoire de contact, de saisie ou de figuration, comme le veut la pratique ordinaire du snapshot. Pas plus ne s'agit-il d'une savante mise en scène éloignant du réel et où l'issue de la photographie est de méduser, par le truchement de vues vertigineuses, l'œil et l'esprit. Cette fois, c'est bel et bien dans la réalité que nous baignons, en l'espèce dans la plus sédimentée des réalités qu'il soit donné à l'homme de vivre : non la vie mais, plus fort qu'elle, ce que l'on veut sauver de la vie et en arracher au néant, ce que l'on veut à tout prix en retenir (revenir, c'est retenir, c'est ressentir le retenir et inversement). Tout album de photographies, tout recueil d'images mémoriales, on le sait, résultent d'un tri, d'une sélection draconienne, l'inclusion y suppose un préalable radical d'exclusion, au prétexte sans doute que toute vie n'est pas bonne à dire mais qu'il y surnage tout de même quelques aspects qui ont valu la peine, sinon d'être vécus, du moins d'être représentés et indexés. Ce que met en exergue la photographie de Catherine Poncin, du coup, n'est autre chose que l'obsession, propre au Sapiens Sapiens toutes civilisations à peu près confondues, de la rétention d'images : photographie s'accomplissant après la photographie originelle, donc, montrant de nouveau (une « One More Time Photography »), photographie rebattant les cartes reconstitutive plus que déconstructive, et plaçant pour finir le spectateur devant l'évidence de son aliénation à ces représentations dont la fonction à peine avouée est de garantir quelque issue comme le salut ( quand être figé par l'image se veut déjà un gage d'immortalité…), la « post-photographie » de Catherine Poncin se destine à la métaphysique publique. Comme le bilan raisonné et mis en abîme de cet authentique rite de survie que représente la confection d'ensembles d'images prenant fonction de mémorial.
Une photographie analytique
Reprise en main de la mémoire et de ses codes visuels, réappropriation travaillée de l'imagerie mémorialiste, la « post-photographie » de Catherine Poncin tient sans conteste de la procédure analytique. Analyse au ras du visible que celle-ci, d'abord : mettre l'accent sur ce que l'on retient du visible humanisé, sur les formes par lesquelles une mémoire va s'inscrire sous l'espèce d'images et choisir de durer dans cet appareil, - les visages, un effet spectaculaire de l'image, un objet de consonance nostalgique… Analyse portant également, par rebond, sur l'intériorité, ultime bastion de l'intime, dernière citadelle de l'humain – moi, mes images fétiches, mon besoin de figures connexes ou tangentes à la mienne, ma mémoire amante des représentations, mes manies de collection (les mouchoirs brodés du faux livre Je n'ai plus de larmes, par exemple)… Ne saurait surprendre, en conséquence, l'intensité de la fragmentation dont fait état chaque photographie ou ensemble photographique proposé là. Fragmentation, en effet, si l'on considère déjà que le travail du photographe se réalise chez Poncin par ces séries évoquées et nommées plus haut, par petits bouts ajoutés à d'autres petits bouts. Fragmentation, oui encore, si l'on veut bien voir que Poncin, à partir d'une image trouvée, redécoupe, recadre, requalifie celle-ci dans un sens qui est celui de la réduction à unaspect, à un détail, ou attentif à en passer par l'agrandissement d'un point choisi de l'image, dans une perspective métonymique où la partie peut signifier pour le tout ou venir en ébranler l'autorité visuelle. Fragmentation, oui enfin, mais native cette fois du constat d'une signification mise en miettes, de l'indécision élevée au rang de spectacle, de l'incertitude reine qui sourd des images que réalise Catherine Poncin : moins que jamais des images autoritaires mais bien d'infra-images nourries d'infra-signes (de même que Duchamp parlait d' « inframince »), ayant comme avalé la signification, n'en rendant qu'un fragment énigmatique quoique familier pourtant, et attractives pour cette raison : car cette image, d'essence dialectique, tout à la fois me parle et se défie de moi. […]
Imager la pensée
La photographie de Catherine Poncin, si l'on ouvre des abîmes, si elle éclaire la nuit de l'inconscient, le fait sans nul catastrophisme, sans nul effet d'annonce, sans nulle grandiloquence.Il suffit bien de regarder pour comprendre. Jamais une œuvre photographique avant celle-ci, sans doute, ne se sera donnée au spectateur avec autant de facilité de lecture. D'une part, les références qui sont les siennes sont également celles de tout un chacun, qu'elles abondent dans les albums-photo familiaux, dans les registres d'images mémoriales ou dans notre stock mental d'images. L'intuition formée au contact des images de Poncin, d'autre part, suggère de manière immédiate leur universalité entière et radicale, leur caractère adaptable, leur qualité profondément élémentaire. Une offre d'élémentaire brut, celle d'une image qu'on qualifierait volontiers, si l'on osait, de « primitive », c'est-à-dire au principe de toutes les autres. […]
En présentantCatherine Poncin comme « post-photographe » et ses images comme « post-photographiques », on n'a certes voulu dire que la photographie a fait son temps, ou qu'il n'y aurait dorénavant plus rien à photographier. On n'a pas prétendu non plus que tout photographe plasticien doit se cantonner dorénavant au « photographique », à la déconstruction infinie. On entend suggérer, plutôt que l'image peut être abordée depuis son versant intériorisé, comme substance incorporée. Que la photographie ne sert pas seulement à illustrer le monde. Qu'il lui revient aussi, se pensant comme image, de s'imager comme pensée.
Paul Ardenne in Monographie Catherine Poncin, Ed. Filigranes, 2000Galerie Les filles du calvaire 17, rue des Filles-du-Calvaire 75003 Paris France