© Lucile Bertrand
Expositions du 19/2/2016 au 9/4/2016 Terminé
Keitelman Gallery 44 rue Van Eyck 1000 Bruxelles France
Keitelman Gallery 44 rue Van Eyck 1000 Bruxelles France
Pour débuter l’année, la Keitelman Gallery a le plaisir de présenter une nouvelle exposition de Lucile Bertrand, avec qui elle collabore depuis plusieurs années. L’artiste, qui s’est toujours intéressée aux notions de passage, de migration, de frontière, livre ici un ensemble de toutes nouvelles pièces qui élargissent encore son champ d’action et de réflexion. Partant d’une méditation du poète et philosophe anglais John Donne (1572-1631), qui parlait de l’ambivalence de la condition humaine inscrite à la croisée de la solitude et de la communauté (ce que l’une de ses phrases servant ici de titre – No man is an island – souligne de façon métaphorique), l’artiste propose des œuvres qui toutes, parlent du « point de contact » où se joue la rencontre, l’interaction, mais aussi la rupture, une forme de silence, de distance. L’exposition donne à voir plusieurs nouvelles séries d’œuvres riches de variations intrinsèques.
Lucile Bertrand, dont la pratique oscille entre dessin, sculpture et installation, réalise souvent des croquis préparatoires permettant de matérialiser ses idées. C’est précisément l’un d’eux qui est à l’origine de la majestueuse série des îles noires dressées sur pilotis. Ces îles sont réalisées en résine jesmonite ; elles sont creuses et il y a là d’emblée un paradoxe cher à l’artiste : nous sommes entre le matériel et l’immatériel, le creux et le plein, l’ancré et le flottant. Groupées par trois ou quatre, ces îles introduisent d’emblée au concept de l’exposition. En outre, elles distillent un propos plus politique puisqu’avec elles, il est question de la séparation arbitraire des territoires à laquelle se heurtent les migrants aujourd’hui. La géographie des hommes est pourtant étrangère à celle de la nature, qui ne connaît comme limites que les rivières, mers, ravines et montagnes.
© Lucile Bertrand
Une seconde série est celle des mystérieux sacs en verre soufflé de formes variées, emplis de pigments colorés. Ceux-là font naître de multiples images dans nos esprits. Le sac est d’abord cet objet universel que chacun transporte sans cesse. Il est à ce titre anthropomorphique : il se calque sur les formes de notre corps. Et il peut métaphoriquement et concrètement posséder et contenir nos aspirations comme nos découragements. Mais c’est aussi une évocation du rapport entre l’Orient et l’Occident. On peut y voir une suggestion des sacs d’épices que les caravanes ramenaient vers l’Europe autrefois. Exemple des échanges économiques qui ont lié de tous temps les peuples. L’exposition présente également des photographies et des dessins. Dans ceux-ci, il est régulièrement question de trace, de no man’s land, de zones tampons (brumes, traces de pas dans le sable, murets signalant une limite) : celles que franchissent certains, celles que ne peuvent traverser d’autres. Un dessin particulièrement poétique et en même temps ironique est basé sur des cartes réalisées par des ornithologues : où l’on découvre les mouvements migratoires des oiseaux se moquant par définition des frontières humaines et obéissant à d’étonnantes logiques – certaines espèces de taille modeste étant capables de faire le tour de la Terre en l’espace d’une année de migration.
Nous découvrons également des sculptures tirées de la figure moyenâgeuse du gisant. Ce sont des corps allongés, suspendus entre la mort et la vie. De telles pièces parlent puissamment de l’attente (aux postes-frontières, aux check-points), d’un état d’entre-deux (entre espoir et résignation). Enfin, un octogone de bois, couvert en son for intérieur de miroirs, démultiplie encore des îles en jesmonite noire en une sorte de symbole de l’image que nous avons aujourd’hui du monde : où nous voyons à présent avec netteté quelles sont les différentes communautés habitant cette planète et où l’enjeu est de voir ce qui les unifie (un même noyau, une même image de référence, ici quelques îles noires) plutôt que ce qui les sépare (des reflets, somme toute illusoires).