Arles ou Avignon ?
Expositions du 1/12/2015 au 31/12/2015 Terminé
La Ptite Galerie (Honfleur) 34 rue Cachin 14600 Honfleur France
Dans les intervalles des « instants décisifs » qu’Henri Cartier-Bresson rendit légendaires, que peut-on saisir en photographie ? Se passe-t-il vraiment rien, dans cet entre-deux, au risque de conduire le flâneur au spleen baudelairien ? N’est-ce point au contraire une grâce de pouvoir observer, en ce balancement même dont témoigne l’image, l’imprévisible à peine visible qui remplit le vide ? A la mort de son père, le cinéaste d’origine estonienne Vladimir-Georg Karassev-Orgusaar, Tarah Montbélialtz, en délicat hommage, décide de se rendre à Arles ou Avignon ou peut-être les deux: N’y a-t-il pas quelque chose de cinématographique qui se joue entre le théâtre et la photographie ?La Ptite Galerie (Honfleur) 34 rue Cachin 14600 Honfleur France
© Tarah Montbélialtz
Avec son appareil Nikon D90, il chemine sans chercher l’anecdote touristique ou documentaire mais plutôt des moments d’équilibre. Par sa pratique de la bascule de l’image, il questionne non seulement la photographie (à quoi cela tient une image ?) mais le principe de vie. Lucrèce en son « De Natura Rerum » ne dit-il pas que la déclinaison, le « clinamen », explique la formation du monde, garantit la liberté de l’homme, son élan vital ; ce que Tarah induit en mettant en présence (à distance !) une petite fille en rose qui semble prolonger l’enjambée interrompue du vieux pont d’Avignon. Il voit, au seuil d’une grille ouverte, comme en sillage d’une femme en noir, la statue de marbre froid d’Enée portant son père Anchise. Il voit ce qu’il ressent au plus profond. Est-on passé de l’autre coté, d’Avignon en Arles ou d’Arles en Avignon ? Il saisit au passage, dans un même soleil, la nonchalante promenade de vie des uns et des autres entre deux expositions ou pièces de théâtre : le spectacle « off » de la rue, avec un penchant pour de « belles entrevues » que le regard effleure mais que la photographie retient en images.
© Tarah Montbélialtz
Affiches et photographies se mettent en miroir. Tarah photographie ceux qui dans l’étoilement des massifs de fleurs se photographient eux-mêmes. Une dame s’est assise : le jardin a basculé : est-ce son fait ou le fait de la photographier ! Sans insister, Tarah Montbélialtz amène les regardeurs de ses images à anticiper, à établir comme lui des relations entre des personnes et des choses que rien en apparence ne lie. Cela se situe comme au départ de la pensée. « Deux minutes devant un brin d’herbe, disait -sérieux- Gustave Flaubert, on a une histoire à raconter ». Une image, en soi, pourrait-on ajouter, ne vaut-elle pas dix mille mots ? Ces mots qui font images, qui s’affichent ici et là, qui lacérés rivalisent en exposition avec par exemple Koudelka que deux jeunes visiteuses en short ne semblent pas avoir remarqués pas plus que Tarah lui-même jouant avec elles à voir sans être vu.
Les images côte à côte se répondent. Une grue de chantier vue à la diagonale vient troubler en une photo adjacente (à moins qu’il s’agisse de l’homme debout devant !) une jeune femme assise en un premier plan flou. Des rencontres se font dans l’invisible. La nuit, devant des escaliers qui conduisent aux églises, une chorégraphie d’ombres fait danser, onduler, ondoyer la photographie elle-même qui en rend compte. Rue de Tarasque, on voit à peine le ciel entre les maisons: si on en croit les affiches flottant au vent, on attend Godot. Près d’une fontaine, cependant, en une image qui a retrouvé son aplomb, Tarah perçoit quelqu’un montrant une direction… quelqu’un de bienvenu en notre monde instable.
texte par Ronan Le Grand