©Bertrand Stofleth
Expositions du 27/11/15 au 16/01/16 Terminé
Le bleu du ciel 12, rue des fantasques 69001 Lyon France
"Né en 1978, Bertrand Stofleth est un photographe Français. Après des études universitaires en Histoire de l’art et Arts du Spectacle à Lyon, il sort diplômé de l’Ecole Nationale Supérieure de la Photographie d’Arles en 2002. Ses recherches artistiques portent sur les modes d’habitation des territoires et interrogent les paysages dans leurs usages et leur représentation. Dans la série Belvédère, il travaille sur l’écriture d’une mémoire à partir d’une géographie recomposée. Les observatoires photographiques du paysage menés au sein du PNR des Monts d’Ardèche depuis 2005 (exposés aux Rencontres d’Arles en 2012) et dans la vallée de l’Hérault depuis 2010, sont une exploration dans le temps des transformations du territoire. Ces travaux sur les mutations du paysage se poursuivent depuis 2011Le bleu du ciel 12, rue des fantasques 69001 Lyon France
en milieu urbain dans le cadre de résidences artistiques, au sein du Centre hospitalier de Chambéry et au cœur de grands ensembles résidentiels à Bron. Avec le travail Rhodanie (2007-2014), il réalise une série documentaire qui, par le biais de mises en scène, constitue une iconographie du quotidien intégrant les différents aménagements et usages d’un fleuve. Il construit de nouveaux travaux en collaboration, comme le projet La Vallée avec Nicolas Giraud, portant sur la présence de l’histoire industrielle dans les paysages entre Lyon et Saint-Etienne. Il poursuit par ailleurs sa collaboration avec le photographe Geoffroy Mathieu, en créant un observatoire photographique du paysage depuis le chemin de grande randonnée périurbain GR2013. Ce projet nommé Paysages usagés a reçu le soutien du Centre national des arts plastiques (Commande publique photographique) et de Marseille-Provence 2013, Capitale européenne de la Culture.
Rhodanie est une série photographique de Bertrand Stofleth qui a parcouru le fleuve Rhône sur 850 kilomètres de sa source en Suisse jusqu’à son embouchure en Méditerranée, projet au long cours réalisé entre 2007 et 2014. Sa facture de style documentaire inaugure un cycle de dix expositions au bleu du ciel, ayant pour ambition de renouveler le genre, à travers une approche transversale dans les connaissances (anthropologiques, historiques...) et diversifiée dans les médiums créatifs. Le photographe a travaillé à la chambre photographique grand format à bord d’un véhicule équipé d’une nacelle élévatrice, surplombant les paysages par un dispositif qui, comme dans les vedute, a permis de dévoiler l’inscription du fleuve et des hommes dans leurs territoires. Il s’est particulièrement attaché à révéler l’identité de la rive, en suivant avec méthode la course du fleuve et de ses alentours, construisant ainsi un dialogue entre le paysage fluvial et l’espace frontière qui le borde, tout en édifiant des saynètes qui donnent à voir le fleuve comme un spectacle permanent.
©Bertrand Stofleth : Rhodanie
L’art des rives
On parle communément des bords de mer et des lisières des forêts, les rives des fleuves n’occupent pas tout à fait la même place dans notre imaginaire. Cette bande qui s’allonge est surtout célébrée sur le mode d’une frontière, celle de la berge - soit d’un talus anobli : une forme de rempart. L’espace de la rive, cette langue de terre qui n’est plus une limite, est un lieu intermédiaire que l’on arpente mais que l’on visite surtout, que l’on investie parfois. Peu décrite, la rive est souvent sacrifiée par cette position d’entre-deux, ni le flot lui-même et sa puissance élémentaire, ni le terrain qui vient presque jusqu’à l’eau : champ, lande ou tout autre espèce de sol. Le travail photographique de Bertrand Stofleth semble s’être particulièrement attaché à révéler l’identité de la rive, en suivant avec méthode la
course du Rhône à ses alentours. Il construit le dialogue entre le paysage fluvial et l’espace frontière qui le borde. Il en souligne les formes d’occupations, de transformations hétéroclites, d’aménagements provisoires, de sorte que le fleuve qui n’y perd rien en majesté se voit au contraire affublé de petits riens qui le détourne des errements du sublime.
Cheminant à bord d’une véhicule équipé d’une nacelle élévatrice, le photographe se trouve toujours à même hauteur. Ce protocole visuel unifie le long trajet du glacier à la Camargue. Identité de point de vue - à la fois surplombant mais conforme à l’esprit apaisé d’une vedute - qui ne standardise toutefois pas les images tant les axes varient et les sites eux-mêmes se diversifient. On pourrait sans peine concevoir le point de vue d’un belvédère, où mieux, si l’on compare le fleuve à un spectacle permanent, concevoir la position d’un balcon de théâtre. Le point où tombe la vue est ainsi toujours précis, mais il est hybride : c’est à la fois celui du topographe et celui du dessinateur, du peintre ou du photographe. Le sentiment de l’interprétation s’ajoute à la rigueur du relevé, et c’est cette dialectique qui
gouverne Rodhanie : précision des rendus et opération imaginative.
Chacune des vues est un portrait de rive. Et chaque rive est une scène, ou plus exactement, il s’y joue quelque chose que le photographe a choisi de privilégier en choisissant le moment de la prise de vue, en sollicitant l’obligeance d’un passant ou d’un pêcheur, en insistant pour obtenir une autorisation, en obtenant l’aimable participation d’un résident, en demandant de reprendre une pose, de rejouer une action... Bertrand Stofleth met en scène ses rives avec une patience qui n’a d’égal que le caractère insoupçonnable de son intervention. Pourquoi, dans cette parcelle d’image avoir tant exigé de soi et des autres alors que le «sujet» est là, noble, indifférent et mouvant : le fleuve ? Précisément parce que Rhodanie est ce monde imaginaire des rives, et que le photographe travaille à bâtir des paysages qui n’existaient pas avant que les rives soient consacrées. Bertrand Stofleth invoque sans détour la référence à l’Arcadie. Il s’agit bien de superposer deux données : l’existence géographique d’un lieu et le mythe qui lui est associé. Comme la région du Péloponèse, la course du Rhône est une réalité physique. Comme l’Arcadie associée à l’âge d’or, Rhodanie est un espace mythique. Les hommes coulent au-près du fleuve des jours heureux, viennent là contempler la nature, se détendre et flâner, flirter, jouer...
Rhodanie est une Arcadie de fortune certes, mais il faut y entendre néanmoins ce pouvoir des hommes à fabriquer un lieu de plaisir, concevoir une forme de résistance à l’oppression de la vie moderne, employer donc une ruse avec la société pour s’en écarter un peu avant de s’y fondre à nouveau : un art de l’échappée belle. Rhodanie, si l’on souhaite la comparer à l’une des grandes modalités d’être de la Grèce antique, est l’univers de la métis. Elle est le monde où règne sous ce vocable le moyen, pour «celui qui est plus faible, de triompher, sur le terrain même de la lutte, de celui qui est plus fort» pour reprendre les mots de Jean-Pierre Vernant. De ces paysages à la fois grandioses et minuscules, l’art en a donné des exemples. Les scènes mythologiques apparaissent en menue et la natures gigantesque, renversant l’ordre des priorités de la représentation. C’est ici la leçon de Poussin. Pour consacrer le genre du paysage en soi il fallait réduire à prétexte les «sujets» nobles - c’est-à-dire mythologiques - les ramener à la portion congrue de l’espace en privilégiant la hauteur de vue. Celle-ci était une ruse, mais elle permit, en effet, de faire de la nature un sujet et non plus un décor. Bertrand Stofleth emprunte ce chemin là de la ruse mais il la renverse : les magnifiques vues à la chambre se donnent d’abord pour des paysages documentaires, puis à petite échelle l’animation des humains vient jouer sa participation. Dans l’art des rives la nature devient politique."
Michel Poivert