Ultime consécration, la photographie fait son entrée sous la coupole de l'Institut de France, enfin reconnue comme un art à part entière par les académiciens après plus de dix ans de discussion. Mercredi 31 mai, l'Académie des beaux-arts a élu deux nouveaux membres, les photographes Lucien Clergue et Yann Arthus-Bertrand, pour constituer une section dédiée à la photographie. Une élection qui porte à 57 (plus 16 membres associés étrangers) les membres de l'Académie et à 8 celui de ses sections : peinture, musique, sculpture, architecture, audiovisuel, gravure, membres libres (personnalités du monde de la culture) et photographie.
L'Académie avait reçu sept candidatures spontanées, dont celle du cinéaste-photographe Raymond Depardon et celle de la photographe de mode Dominique Issermann. Avec Lucien Clergue (71 ans) et Yann Arthus-Bertrand (60 ans), l'institution a finalement porté son choix sur deux notables de la photographie. Deux personnalités fortes et appréciées du grand public, mais dont l'oeuvre est contestée par le monde de la photographie.
Le premier, Lucien Clergue, provençal au verbe haut et activiste majeur de l'image fixe, est le cofondateur des Rencontres photographiques d'Arles. Il s'est fait connaître, en France et aux Etats-Unis, dès les années 1950, par des photos expressionnistes de Camargue, de taureaux et de nus féminins. Elu dès le premier tour, il exulte : "Je voulais être le premier photographe à l'Académie des beaux-arts et j'ai réussi !"
L'autre lauréat, Yann Arthus-Bertrand, est devenu, grâce à ses photos aériennes, l'un des photographes les plus populaires du monde. Son best-seller mondial, La Terre vue du ciel, s'est écoulé à près de 3 millions d'exemplaires.
C'est une certaine vision de la photographie comme "belle image" qui l'emporte, avec des nus et des photos-tableaux aux vives couleurs. On est loin du reportage ou de l'art contemporain. D'où la déception de Raymond Depardon, que les rumeurs avaient longtemps donné favori : "J'avais postulé après avoir été encouragé par le secrétaire perpétuel, Arnaud d'Hauterives. Pas pour le décorum ! Je pensais que je pourrais défendre la photo documentaire et aider financièrement de jeunes photographes. Mais les académiciens en sont restés au Moyen Age !"
Avant de siéger tous les mercredis avec leurs pairs, les deux nouveaux académiciens devront passer par la cérémonie d'installation, prévue d'ici quelques mois. Ensuite, dit Lucien Clergue, "il y a tout à faire !". Outre les bourses et les prix - l'Académie des beaux-arts distribue chaque année plus de 700 000 euros pour encourager la création - il caresse déjà l'idée de constituer, pour l'Académie, une collection de photo contemporaine.
Claire Guillot
Article paru dans l'édition du 02.06.06 Le Monde