© Olivier Verley
Expositions du 5/11/2015 au 28/11/2015 Terminé
La Chambre Claire 14, rue Saint-Sulpice 75006 Paris Métro Odéon 01 46 34 04 31 > Site : www.chambreclaire.com > Contact : delpire@wanadoo.fr
Série 1 (première salle) : les Monts Sibyllins.La Chambre Claire 14, rue Saint-Sulpice 75006 Paris Métro Odéon 01 46 34 04 31 > Site : www.chambreclaire.com > Contact : delpire@wanadoo.fr
Comment ne pas tenir des propos sibyllins (des mots dont le sens est obscur, énigmatique) cependant que je découvre ce petit groupe de montagnes d'Italie centrale ? Le ciel et la terre, dont je recherche les conversations souvent mystérieuses, s'en donnent ici à cœur joie, tout en éloignant les rares promeneurs qui ne se doutent pas qu'ils s'éloignent d'un paradis perdu.
Série 2 (deuxième salle) : la chambre du secret, 2 textes (Eric Chevillard ettexte personnel notice).
L’os du crâne ne serait pas si dur s’il n’était le rempart de nos secrets, il ne serait pas si opaque : nous aurions des têtes flasques et translucides si nous n’avions rien à cacher. La lumière les traverserait sans s’y arrêter et il n’y aurait pas de photographie possible. Sans nos secrets, nous serions invisibles. Paradoxe admirable : c’est parce qu nous sommes si dissimulés que nous sommes si voyants. On ne peut
davantage percer à jour l’homme sans mystère que saisir une poignée d’eau. C’est donc en ef et parce que nous nous dérobons que nous sommes vus. La photographie n’est pas un éclair qui foudroie ce qui se
dresse et s’expose. Il lui faut une énigme à résoudre. La révélation est son mode d’apparition. Que révèle la photographie d’un visage ? On y voit une certaine organisation des traits, partant d’un patron commun, des variations personnelles autour d’un principe élémentaire duquel il s’agit cependant de ne point trop dévier ou bien le cliché figurera dans un de ces recueils pour amateurs que l’on consulte dans les bibliothèques des cabinets de curiosités. Mais y voiton notre secret ? Ordinairement, le sujet photographié est pris en traître dans la stupéfaction de l’instant. Un visage unique parmi tous ceux que l’on peut lui voir à travers les vitres du train de ses pensées. Pourquoi celuici ? On ne le saura pas. Ni davantage pourquoi cette lamelà parmi toutes les autres abrège un jour la vie de la partenaire du lanceur de couteaux.
Aussi songeur ou rêveur sembletil, il y a fort à parier que si l’on pouvait lire la pensée du sujet photographié à l’instant précis où la photo fut prise, ce serait bien décevant : suisje à mon avantage ? ou : eh bien,
il la prend ou non sa photo ? ou : vite ef acer ce sourire idiot, ou encore : j’espère au moins qu’il ne zoome pas. On lirait ce genre de considérations également dans les têtes saintes et les têtes géniales des
grands hommes, sur ces clichés célèbres où chacun croit pourtant percevoir quelque chose de leur singulière expérience du monde. L’entreprise menée ici est bien dif érente puisque le temps de pose de quatre minutes et l’injonction d’évoquer en son for intérieur une aventure ou une pensée secrètes écartent d’emblée le vaniteux souci de soi ou de l’image de soi que favorise d’habitude la condition ingrate de
gibier photographique (au pire de telles préoccupations ne parasiteront que quelques secondes cette expérience de conscience). Un instantané ne peut finalement saisir que l’instant fatal, c’estàdire la mort du sujet et
ce rictus atroce que les cœurs compatissants appellent un sourire (mais leurs bénédictions sèches audessus du cadavre ressemblent plutôt aux gifles qu’ils se retiennent de lui administrer pour lui rendre ses couleurs). Il convient au contraire de considérer les portraits d’Olivier Verley comme une succession de films (des courtsmétrages tout de même) où se précipitent et se concentrent ou condensent les pensées de ses
protagonistes. Le temps est notre élément ; les photographes n’ont de cesse de nous en extraire comme un poisson de son eau. Mort s’ensuit, encore elle. Voici des photographies de vivants, pour une fois, saisis dans la durée, le fleuve est ferré avec le poisson. Voici des photographies qui durent quatre minutes.
Le papier sensible a enregistré avec le visage des personnes invitées ce secret que peutêtre nous pouvons pressentir, à condition toutefois de s’attarder suf isamment devant chacune de ces photographies : quatre minutes seront un minimum si l’on veut avoir une chance de lire jusqu’au bout le récit qui s’y trouve contenu. Il semblerait qu’il s’agisse à chaque fois d’une af aire grave. A peine surprendon ici ou là un soupçon
d’ironie. Est ce la mélancolie propre à toute remémoration ? Af leurent des amours anciennes, des souvenirs de jeunesse, des histoires d’enfance. Est ce aussi la proximité sémantique de la chambre noire et du confessionnal ? On ne peut s’empêcher de trouver à certains visages un petit air coupable. Nul doute : celuici a péché et en fait ici l’aveu, qui vaut absolution. Rien d’explicite, heureusement. C’est assez d’explicite
partout et tout le temps. S’il faut en croire le goût du jour, nos abats seraient nos meilleurs morceaux. Très peu pour moi. On n’est pas sorti de la boucherie s’il faut encore visiter le boyau du boucher. Gardez vos
confidences, par pitié ! L’intérieur d’autrui, il est bien rare que l’on y trouve son confort.
Sur les photographies d’Olivier Verley, le mystère reste entier, mais il est là, patent, palpable. Ces têtes roulent des pensées que l’on ignorera toujours, mais il ne fait aucun doute qu’elles méditent : le champ de cette
méditation nous est ouvert et accessible. Rien ne nous empêche d’y mêler la nôtre. Ce sont là des images spirituellement érotisées (osons cette contorsion un peu douloureuse pour les cervicales) : celui qui les regarde se sent curieusement concerné, il voudrait s’approcher encore, baigner dans cette lumière crépusculaire propice au songe délicieux du passé.
L’ombre pourtant recouvre le secret, le préserve, le protège : avivant un agréable goût d’encre de Chine, une poudre noire pleut doucement sur ma veillée – c’est dans cette obscurité que naissent les Illuminations (la
preuve).
Ce qui est admirable dans ces visages ainsi of erts et si longuement – quatre minutes ! –, c’est cette générosité même, cette candeur, cet aveu désarmant et, pour autant, que rien ne nous soit dit, ce silence. Nul
bavardage ici, nulle complaisance, on ne s’étend pas sur son cas, on fait tranquillement et sans un geste – en bougeant même le moins possible –la démonstration que l’on existe : il y a là un homme, une femme, unenfant, un destin chahuté qui soudain s’ordonne. Quatre minutes y suffisent largement : deux cent quarante noyés y disposeraient chacun d’une seconde pour revoir leur vie tout entière.
Quatre minutes, ces quatre minutes me fascinent, quatre minutes de pose et de pause, et soudain toute la vie de l’homme se rassemble et fait bloc, le sujet photographié s’y ressaisit en même temps qu’il se laisse
saisir, dépouiller, comme si véritablement l’objectif aspirait les molécules qui le constituent : transfert du corps dans l’espace, et voici accompli endouceur le vieux rêve de téléportation. Sans brutalité, sans violence, sans secousse, quatre minutes de ces existences se sont déposées sur le film sensible qui nous les restitue intactes, préservées, et mieux que ne le ferait un film en vérité, lequel donne toujours une impression de dif éré et ne sait que produire de l’archive. Tandis que ces photographies réinjectent en continu dans le flux temporel les quatre minutes sauvegardées où se joue la double aventure
de la séance de pose et de la méditation intime. Les personnages – personnages de leur propre histoire – à la fois toisent l’objectif ainsi que le fait tout sujet photographié et s’abîment en euxmêmes, au secret avec
leur secret, insaisissables. Il se passe quelque chose, mais on ne sait pas où : dedans ? dehors ? Que font ces gens ainsi absorbés, retirés dans les profondeurs de leur conscience ? Vous le voyez bien : ils s’exposent. Mais alors, que font ces gens, là, devant nous, ainsi exposés ? Vous le voyez bien : ils se cachent.
Texte personnel Olivier verley :
Nous sommes de l’étoffe dont les songes sont faits Et notre petite vie est cernée de sommeil. Je lève une armée de secrets dont je prélève quelques éclaireurs. Ce projet appartient aussi à cette quête du
Grand Secret, dont parlent Jarry et Henri Michaux qui font écho à Gérard de Nerval, Novalis, Rimbaud... Richard III, Shakespeare. Je crois que l’idée de la chambre des secrets est présente avant ma naissance, quand je suis une étincelle dans les yeux de mon père. Elle se matérialise trente ans plus tard avec des amis intraitables, lorsque nous écoutons de la musique dans des chambres noires, durant des nuits entières. Je rencontre alors une mélodie de Gabriel Fauré, - le Secret -, chantée par Nelly Ameling, à partir d’un poème écrit par Armand Sylvestre. Ca
commence comme ça : Je veux que le matin l’ignore le nom que j’ai dit à la nuit, Et qu’au vent de l’aube, sans bruit, Comme une larme il s’évapore. Je veux que le jour le proclame L’Amour qu’au matin j’ai caché,
Et sur mon cœur ouvert penché Comme un grain d’encens il l’enflamme. Je veux que le couchant l’oublie Le secret que j’ai dit au jour, Et l’emporte avec mon amour, Aux plis de sa robe pâlie !
Vingt années passent, je rencontre alors HOH-LUX sur un écran. Je t’achète, tu viens en deux morceaux jusqu’à Auvers-sur-Oise. Tu deviens immédiatement la chambre des secrets, pour servir fidèlement la Théorie.
Je t’ai proposé de rejoindre la chambre des secrets, et tu as accepté. Tu es ici pour livrer ton secret, pour le restituer à l’objectif de la chambre HOH-LUX.
HOH-LUX, VVB OPTIK, Carl Zeiss-Jena DDR, Apogerminar 9/360 n°1146, ouverture 9/128, chassis n°2103012 :3.
Ne crois pas que tu n’as de secret pour personne.
-Toi, petite Lisa, tu me demandes si tu peux penser à un secret non encore advenu, et qui n’arrivera peut-être jamais. Ca ne me regarde pas, débrouille-toi avec HOH-LUX. Le flux du jour t’emportera pendant quatre minutes. La lumière du jour aura toujours la même provenance. Elle te vient de la gauche sur ton visage, se pose sur ta joue, après qu’elle a traversé la grande baie vitrée de l’atelier. Il en sera selon les ciels, secrets de pluie, de brume ou de soleil. Tu recevras, par ricochet, des photons par milliers. Les photons, c’est bon. Tous seront enregistrés, tous auront leur chance. Ils traduiront ton secret, le dévoileront, sans jamais le révéler. Nous respecterons ton secret. Il sera bien gardé. Cependant, nous l’aurons devant les yeux, ancré en toi, encré en toi, sans que jamais nous ne puissions le voir, tel un fruit enveloppé qu’on fit pousser en toi, un fruit confit. Comprends bien cela : HOH-LUX n’a pas la prétention de saisir ton âme. HOH-LUX souhaite seulement être le dépositaire de ton secret. Et si tu le désires, le gardien. HOH-LUX a comme mission de sculpter ton secret sur une surface plane, et tu es invité à vibrer pour elle. HOH-LUX est ton secrétaire particulier, ton confident. C’est aussi le secret lui-même, comme est nommée la caisse dans un orgue, où l’on réserve le vent pour le distribuer suivant les besoins. Moi, je suis le machiniste, le mécano de la Générale. Et si je nourris un espoir, c’est que chacun, après avoir navigué dans son secret, laisse un peu de son écume derrière lui.
Bien entendu, tu te seras concentré et je t’aurai, à cet effet, préparé : ce n’est pas un jeu, mais tu joueras le jeu. Il est à parier que tu seras ému, car il s’agit bien de l’image de ton secret, et même si tu t’imagines au bord d’un paisible rivage, le vertige t’envahira. HOH-LUX tient du cloître où se recueillir est comme rentrer chez soi. On ne peut pas être sans cesse à l’étranger. Tu es là pour ramasser et réunir. Pour naviguer entre « des rêves d’enfant qui ne veut rien savoir sinon espérer éternellement des choses vagues ». HOH-LUX n’est pas là pour t’embellir. Du moins pas dans le sens où tu l’entends. HOH-LUX, naturellement penche vers le féminin. Son essence est féminine : c’est une chambre qui fait 40 cm par 40 cm, elle vient d’Allemagne, de Leipzig, après un long voyage, et sa nouvelle mission est de tenir au chaud ton secret. Elle attend de toi que tu lui offres la chose sans la chose. Elle ne pardonne rien, sois en averti, les cratères et les collines de ton visage seront présents pour situer la géologie et le décor de ton secret. Tes traits, tes déliés, sont un paysage qui abrite ton secret. Pendant que tu te bats avec ton secret, je demeure dans le vestibule, tout à côté et si loin de ton secret. Et je suis perdu dans tes pensées, dans le clapot du secret qui vibre, onde du secret lancé à l’eau, cependant que tourné en toi-même tu empruntes le couloir de la chambre noire, le long de cet accordéon qui souffle et délivre une mélodie perlée de photons. HOH-LUX est le passage secret de ta lumière. HOH-LUX est littéralement un outil renversant. Ici, nul instant décisif. Ou bien alors une coulée décisive de temps, qui te fait garder la chambre, avec au front la fièvre nécessaire.
Félix Arvers (1806-1850) écrit un seul sonnet dans sa vie : Mon âme a son secret, ma vie a son mystère : Un amour éternel en un moment conçu. Le mal est sans espoir, aussi j’ai dû le taire, Et celle qui l’a fait n’en a jamais rien su. Hélas, j’aurai passé près d’elle inaperçu, Toujours à ses côtés, et pourtant solitaire, Et j’aurai jusqu’au bout fait mon temps sur la terre, N’osant rien demander et n’ayant rien reçu. Pour elle, quoique Dieu l’ait faite douce et tendre, Elle ira son chemin, distraite, et sans entendre ce murmure d’amour élevé sur ses pas ; A l’austère devoir pieusement fidèle, Elle dira, lisant ces vers tout remplis d’elle : « Quelle est donc cette femme ? » et ne comprendra pas. Ce vers célèbre d’un sonnet unique me revient en mémoire devant cette Théorie des secrets où l’on tente de saisir une mémoire fugitive. L’âme a ses secrets. Mais n’est-elle pas plutôt secret pour elle-même ? Dans cette image à peine mouvante, qui palpite, où l’on saisit la chute d’une paupière, le vol rapide d’un iris, l’interrogation d’une lèvre, croit-on révéler l’âme à elle-même ? Oui, peut-être. Car que peut-on chercher dans la lumière d’un cloître, si ce n’est son âme telle que la fera l’éternité ?
Série 3 (dernière salle) : le jardin médiéval
Végétal contre minéral, profusion printanière et nudité hivernale... C’est le passage de l’un à l’autre, l’opposition et le dialogue des formes et des silhouettes dans cet espace clos, qu’a observés et photographiés Olivier Verley, dans le cadre d’une commande photographique que lui a confiée la Fondation Royaumont.
Durant six ans, cette observation subjective, quasi entomologique, de la transformation des végétaux au cours des saisons, a donné lieu à des images atypiques : un autre point de vue sur cette cour retirée, où l’architecture monastique s’oppose avec force à l’exubérance de la végétation qu’elle protège ; un regard d’auteur, en noir et blanc, un regard fragmentaire et volontiers infidèle, qui montre cet épanouissement comme il révèle l’étiolement et la marcescence qui lui succèdent...
Nathalie le Gonidec, responsable des archives à l'Abbaye de Royaumont. Le jardin médiéval, c’est un petit monde en soi, un microcosme. Je tourne autour pour une année comme le font les saisons, et lui, en retour, me trotte dans la tête. Cela commence par la neige qui efface tout sauf la rumeur « positive » de chaque pousse, isolée et comme mise au secret dans sa chambre noire. « On dit » qu’il va faire beau et qu’en attendant les graines sont au chaud sous la neige. Le printemps bientôt les révèle, il y a des grains d’argent dans l’air, des fièvres de photosynthèse. Vient le règne visuel et olfactif des discrets, des exubérants.
Un jardin médiéval, c’est le poème des simples, des plantes médicinales. Du pavot, pavé de bonnes intentions, à l’absinthe (en grec absence de plaisir...). A Royaumont, dans l’enclos du jardin qui fait écho à l’intimité du cloître, j’ai vu grandir peu à peu des brassées d’oreilles d’éléphant, plantées là pour distraire et éventer les ancolies. Je poursuis ici, en photographe, l’œuvre d’un arrière grandpère phytothérapeute que je ne connais que par ses ouvrages réédités. Hommage donc, et continuité par l’image, une photothérapie en quelque sorte...
Olivier Verley
© Olivier Verley
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