Jo Ha Kyu, 2012, Installation vidéo, Courtesy de l'artiste
Expositions du 20/10/2015 au 24/1/2016 Terminé
Jeu de Paume 1 Place de la Concorde 75008 Paris France
Cinéaste et plasticienne née en 1973 à Hanoï , Nguyen Trinh Thi a étudié le journalisme et la photographie à l’université d’Iowa ainsi que les relations internationales et le cinéma ethnographique à l’université de Californie à San Diego. Ses films documentaires et expérimentaux sont présentés au Vietnam et à l’étranger dans de nombreux festivals et expositions. Elle fonde en 2009 le Hanoï DocLab, centre dédié au film documentaire et à l’art vidéo à Hanoï , dont elle continue de diriger les activités et où elle enseigne.Jeu de Paume 1 Place de la Concorde 75008 Paris France
Choisie pour son approche à la fois multiple, très personnelle et poétique d’événements sujets à controverse, historiques ou actuels, qu’elle aborde par les moyens du cinéma expérimental et de la vidéo, Nguyen est la quatrième et dernière artiste présentée à l’occasion de la programmation Satellite 8, « Rallier le flot ». Elle s’est fait connaître par deux installations vidéo au format exceptionnel, Unsubtitled (2010) et Landscape Series #1 (2013), qui articulent avec pertinence la problématique de la censure sous les points de vue de la collectivité, du journaliste et de l’artiste.
Paysage
2013
Nguyen Trinh Thi
Installation vidéo (vidéo couleur et son en boucle de 5 min, cartes postales).
Courtesy de l’artiste
Avec Lettres de Panduranga (2015), commandée dans le cadre de la programmation Satellite 8, Nguyen prolonge ses expérimentations à la frontière du documentaire et de la fiction dans un essai filmique réalisé avec des villageois de l’ethnie cham vivant dans le dernier et plus méridional territoire de l’ancien royaume de Champa. Celui-ci, fondé voici près de deux mille ans, a été annexé en 1832 par le royaume du Dai Viêt (l’actuel Vietnam).
La province de Ninh Thuân, qui portait autrefois le nom de Panduranga, est le centre spirituel de l’antique culture matriarcale cham. Lettres de Panduranga trouve sa source d’inspiration dans le projet du gouvernement vietnamien de construire d’ici 2020, dans la province de Ninh Thuân, les deux premières centrales nucléaires du pays. Le débat public relatif à ce programme a été quasi inexistant au Vietnam : l’état exerce en effet un controôle strict sur les activités des médias ainsi que sur les possibilités d’expression de l’opinion publique et a exclu des consultations les collectivités locales concernées.
De 2013 à 2015, s’appuyant sur un réseau d’intellectuels cham, Nguyen a séjourné à plusieurs reprises dans la province de Ninh Thuân.
À chacune de ses visites, elle a été confrontée aux problématiques de l’accessibilité, de la représentation et de la documentation – ainsi qu’à celle de la prise de parole au nom d’autrui.
Si Lettres de Panduranga est tout d’abord conçu comme un portrait des Cham du Vietnam confrontés à des circonstances qui menacent leur existence même, l’œuvre a également évolué, par voie de conséquence, en un portrait de l’artiste en vidéaste.
« En tant qu’artistes, explique-t-elle, nous sommes animés par deux désirs contradictoires : celui de nous engager, mais aussi celui de disparaître. » Tandis que nous découvrons les portraits individuels et de groupes filmés au plus près, les magnifiques paysages maritimes et terrestres de la région, des espaces et des rituels sacrés ou profanes soigneusement cadrés, un homme et une femme anonymes lisent en voix off les lettres qu’ils se sont adressées l’un à l’autre.
Chronicle of a Tape Recorded Over
2010
© Nguyen Trinh Thi
Installation vidéo
« Je m’interroge sur la façon de relier le paysage à l’histoire. J’aime ces images de paysage où l’on voit les gens se détourner de la caméra. Cette image est celle d’un témoignage paisible de l’histoire, à la fois du point de vue du paysage et du point de vus des gens. Nous observons des gens qui observent le paysage qui a observé l’histoire. C’est une situation symbolique du Vietnam : des gens sont sur place, assistent en personne au déroulement de l’histoire, mais sont depuis toujours privés d’une voix qui aurait pu être enregistrée, ou n’ont jamais eu la possibilité de raconter leurs propres versions de ces événements historiques. »
Confrontés tous deux à une incertitude multiforme, ils articulent un questionnement critique à propos de ce qui nous est donné à voir : le travail de terrain, l’ethnographie, l’accès à l’histoire, la perpétuation des colonialismes – de l’invasion du Vietnam par les Francçais à l’invasion du pays des Cham par les Vietnamiens. D’autres évocations se font jour au fil de l’œuvre : les bombardements américains, les objets issus des expositions coloniales et des collections d’art, la vulgarité des lieux touristiques et des politiques culturelles de l’UNESCO, mais aussi des citations
rendant hommage aux deux influences principales de Nguyen, à savoir Lettre de Sibérie, de Chris Marker (1957), et Les Statues meurent aussi, de Chris Marker et Alain Resnais (1953), deux films documentaires novateurs qui expriment une critique incisive des conséquences de l’industrialisation et du colonialisme.
Lettres de Panduranga s’achève sur une forme visuelle et narrative qui semble à juste titre indéterminée. La voix de Nguyen fait entendre en guise de conclusion le dernier vers d’une épopée du poète cham Tra Vigia, intitulée Nuits indistinctes :
« Il se pourrait que j’aie rêvé dans un poème qui touche à sa fin. »