Vendredi 03 Août 2012 15:13:22 par actuphoto dans Expositions

Il est des lectures qui peuvent exercer une fascination paralysante, une hégémonie qui ne laisse aucune place, même dans l'esprit le plus ouvert. C'est d'elles qu'a voulu se libérer Frédéric Lecloux qui aime à dire : « On croit qu'on va lire L'Usage du monde et bientôt, c'est L'Usage du monde du monde qui vous lie. » Pour se défaire de ce lien trop prégnant avec l'oeuvre et la personne de Nicolas Bouvier, figure majeure de la littérature de voyage, Frédéric Lecloux a entrepris en novembre 2004 un voyage quasi thérapeutique en compagnie de sa femme et de sa petite fille. En voiture, de Genève à Kaboul, il a suivi les traces de celui qu'il n'a pas rencontré et qu'il aurait tant aimé accompagner cinquante ans plus tôt. Si les étapes de ce périple sont les mêmes, il ne faut y voir nulle intention de reconstitution exacte. Cet hommage est celui d'un disciple clairvoyant, non celui d'un groupie. La fidélité, ici, réside dans une certaine conception du voyage comme appauvrissement parce qu'il purge le voyageur de ses certitudes, qu'il le soumet à son rythme, à sa lenteur, parce qu'il n'a d'autre finalité que lui-même. D'ailleurs, pas de retour possible : de l'usage à l'usure, le temps a passé… et quelques guerres aussi sur la presque totalité des pays traversés. Il en résulte un album de voyage soigneusement légendé, où sont consignés les instants mémorables (qui sont rarement des moments forts), les rencontres humaines, les traces du temps qui fuit ou du temps qu'il fait, des paysages traversés, souvent noyés dans le brouillard. Un album sans nostalgie, qui ne magnifie rien ni ne dénonce rien, qui n'occulte ni les aléas du voyage, ni les moments d'ennui, ni les renoncements. Cette intransigeance morale, qui était celle de Bouvier, trouve son prolongement dans des images volontairement « plates », qui refusent tout effet esthétique (même celui d'une esthétique de l'ordinaire), mais qui ne se privent pas de citations ou de clins d'oeil à l'oeuvre qui sert à Frédéric Lecloux de viatique plus que de guide. J.-C. F