© © Sans titre, travail collectif, photographies et collages, 2015
Par son association des contraires, L'exil et le royaume renvoie à des métaphores artistiques, fictives ou réelles, et semblent faire écho au si tu ne peux pas tout faire avec rien, tu ne feras rien du tout, de Pablo Picasso. À partir d’images mentales ou d’images recyclées, l’artiste saisit le visible, le fragmente et le ré-organise. Le chemin vers ce royaume est une aventure où l'artiste fait l'expérience du monde, un monde où tout devient possible et imaginable, un lieu de refuge, un espace réinventé et plus poétique.
Si on filait beaucoup plus loin la métaphore, on se rendrait compte qu’il y a un peu du voleur de feu et un peu de cette boue transformée en or par l’intervention de l’artiste ou du poète. La métaphore est le fil qui relie chacune des nouvelles de Camus : le trivial, l’anecdote, le quotidien pour exprimer quelque chose de tellement plus grand. Et la pratique du collage participe elle-aussi de cette métaphore, avec un sens aigu de la jubilation, car elle ne nécessite pas de prérequis. Les artistes de la première moitié du 20ème siècle ont tenté toutes les aventures exploratoires pour explicitement se libérer de la lourdeur que l’art entretenait avec la tradition et trouver un nouveau royaume. Au mépris des règles, des usages nouveaux, des matériaux non-artistiques, des postures irrévérencieuses se sont invitées au grand bal du hasard, pour produire des œuvres spontanées, d’une fraîcheur et d’une inquiétante étrangeté.
En questionnant le sens des images et du regard, le collage allait interroger le monde et le changer durablement. Jeux de constructions et déconstructions, le collage est une manière de négocier avec le réel et le visible ; c’est le désir de rompre l’accoutumance. Troubler la vue, changer les perspectives et modifier les dimensions et les échelles, ouvrent des fissures d'oxygénation perceptuelles et cognitives.
C’est dans ce prolongement historique et jubilatoire qu’Émilie Saubestre, Barnabé Moinard et Hilda Caicedo, nous invitent à découvrir leurs travaux. En cherchant des « esthétiques satellites », chacun à sa manière détourne, déconstruit, cache ou montre, puise dans l’infinie bibliothèque d’images disponibles, déchire, assemble, entremêle, colle, pour dé-coller nos regards des habitudes codifiées. Leurs démarches explorent un imaginaire qui ne contrariaient pas la célèbre réplique de Max Ernst à ses détracteurs : ce n’est pas la colle qui fait le collage.
Bel hommage donc à tous ces artistes initiateurs et à Camus qui implicitement avec ce titre,rappelle le retrait indispensable pour mener toute création. L’ensemble de la production qui sort de l’exil de l’artiste, c’est à la fois les pièces de son royaume, Des nouvelles images surgissent. Telles des boomerangs, elles nous amènent vers un ailleurs et nous ramènent vers le connu, tissant des liens entre fantaisie individuelle et mémoire collective.