© Hiroshi Sugimoto
- Platon, République, VII, 527.
A l'occasion de l'exposition qui a lieu en ce moment à la Phillips Collection à Washington DC (7 février – 10 mai), un dense catalogue (éditions Hatje Cantz Verlag) permet de saisir la richesse des tirages argentiques noir & blanc – hautement savants – de l'artiste Hiroshi Sugimoto, qui explore depuis plus de trente ans les concepts de temps, de lumière et d'espace.
Hiroshi Sugimoto, dans «Conceptual Forms and Mathematical Models», présente des œuvres dévoilant sa fascination pour les formes mathématiques pures, conçues en Allemagne à la fin du XIXème siècle et importées par la suite au Japon comme outils pédagogiques. La photographie et les mathématiques sont étroitement liées, comme le souligne dans la préface Dorothy Kosinski, directrice de la Phillips Collection. En effet, les mathématiques sont à l'origine de l'invention de la photographie elle-même, au cours du XIXème siècle, par le scientifique Henry Fox Talbot (lui-même mathématicien). Cette tradition a perduré jusqu'au XXIème siècle, comme en témoignent les œuvres d'Hiroshi Sugimoto présentées dans «Conceptual Forms and Mathematical Models», qui inclut des photographies noir et blanc des modèles en plâtre mathématiques prises à l'Université de Tokyo.
«La beauté de ses formes mathématiques pures était un délice à regarder, surpassant la sculpture abstraite. C'était une impression de déjà vu. Puis je me suis rappelé : j'avais découvert dans une galerie de photos vintage à Paris la série de photographies (1930) de Man Ray avec des modèles mathématiques moulés en plâtre à partir de moules similaires. A la suite de quoi j'ai réalisé que les formes mathématiques que je percevais différaient de comment Man Ray les avait photographiées. J'acceptais de relever ce défi.»
© Hiroshi Sugimoto, Helicoid: Minimal Surface, 2004
Hiroshi Sugimoto, qui a grandi au Japon et a «baigné dans le Marxisme et l'existentialisme», d'après ses propres mots, a d'abord étudié l'économie à l'Université catholique de St Paul à Tokyo, avant d'intégrer des études de photographie à l'Art Center College of Design à Los Angeles. Au début des années 70, il est exposé avec des artistes conceptuels et minimalistes tels que Donald Judd et Dan Flavin, au sein du «Space Mouvement» alors en vogue en Californie du sud, comprenant des artistes tels que James Turell, Robert Irwin et Douglas Wheeler.
A la différence de Man Ray - qui fait également l'objet d'une exposition à la Phillips Collection, dans une logique de lien - Hiroshi Sugimoto remodèle les objets mathématiques en photographie. Non sans rappeler les sculptures de Brancusi, Sugimoto se livre par exemple, dans «Surface de révolution avec courbes négatives constantes» à une réinterprétation du Mont Fuji à l'envers, évoquant un point de fuite infini. Hiroshi Sugimoto dédie ses modèles mathématiques à l'ami commun de Brancusi et de Man Ray : Marcel Duchamp.
© Hiroshi Sugimoto, Conic Surface of Revolution with Constant Negative Curvature and Screw, 2004
Sugimoto fait converger des formes conceptuelles et des modèles mathématiques vers une vérité pure. L'artiste japonais pratique l'art comme un «moment extatique de méditation» vers l'infini, à l'instar de Brancusi avec sa Colonne sans fin. «Le point entre tout et rien, infiniment isolé d'un entendement des extrêmes.»
L'ouvrage, richement illustré et savamment écrit en anglais par Klaus Ottmann, permet une appréhension subtile, des cinq photographies et des trois sculptures d'Hiroshi Sugimoto de cette exposition.
Estelle Magnin