Le photographe Luc Chessex réconcilié avec CubaAjouter cet article dans swissinfo à la carte
Vendredi 03 Août 2012 15:13:22 par actuphoto dans Actualités
n son temps, la révolution cubaine représentait un défi pour les photographes. Le Lausannois Luc Chessex l'a relevé en partant pour La Havane en 1961.
D'une montagne de photos émergea une longue histoire, marquée par des ruptures. A La Havane, la Photothèque de Cuba a consacré une exposition à Luc Chessex trente ans après.
Il y a quarante-cinq ans, Luc Chessex partait pour Cuba avec son appareil de photo. Le jeune homme a eu la chance de rencontrer Alejo Carpentier, grand écrivain cubain mais aussi adjoint du ministre de la Culture de l'époque.
«Je suis arrivé à La Havane avec une poignée de dollars et de grandes illusions», raconte Luc Chessex. Le photographe fut bientôt engagé par le ministère de la Culture, puis fit des photos pour divers magazines comme «Pueblo y Cultura», «Revolucion» et «Cuba Internacional».
Alors que la photo cubaine tenait un discours épique et héroïque sur la Révolution, le Suisse arriva sur place sans parti pris et photographia ce qui lui paraissait être la vérité.
Le jeune homme était fasciné par l'aspect dramatique des événements. «Je sortais de l'ennuyeuse Lausanne pour Cuba, où j'ai rencontré des gens aux énergies libérées», explique-t-il à swissinfo.
Un esprit porté à l'iconoclasme
Luc Chessex a dÛ se faire au rythme rapide et imprévisible de la Révolution, à la lumière aveuglante, aux contrastes marqués et à la nouvelle logique de l'histoire.
Bientôt, tout cela se retrouva dans des images réalistes traversées ça et là de traits de parodie, d'humour et d'ironie.
Contrairement à nombre de ses collègues cubains, le Suisse était mentalement prêt, de par sa formation à l'Ecole de photographie de Vevey, à l'iconoclasme qui régnait à La Havane.
Luc Chessex chercha, et trouva, la manière de donner un visage à la naissance de la révolution. Son enthousiasme était sans limite: «Je croyais alors qu'on pouvait changer le monde même avec un appareil de photo», se rappelle-t-il.
Les photos sont toujours ambiguës
Luc Chessex travaillait de manière intuitive, vite et surtout le soir. Il a pris des photos de grandes manifestations, de réunions, dans les usines.
Il en est sorti des images inondées par la vive lumière des Caraïbes, apparemment anodines mais qui, en y regardant de plus près, transmettaient un message plus ambigu et parfois provocateur.
Pour développer ses travaux, Luc Chessex avait installé une chambre noire dans la salle de bain de sa chambre à l'Hotel Presidente.
Fidel Castro était conscient de la force de ces photos et veillait au grain. Le «Commandante en jefe» les utilisait sciemment pour sa Révolution. Le photographe suisse s'est mis aussi à faire des photos de tableaux, des posters de Fidel Castro et Che Guevara, qui étaient partout à l'époque du culte de la personnalité.
Départ sur ordre de Cuba
Luc Chessex est resté presque neuf ans à La Havane, jusqu'en 1970, avant de voyager dans toute l'Amérique Latine pour son commanditaire cubain. Il a envoyé des photos de paysans, de bourgeois et de prolétaires de Managua, La Paz, Santiago, San Salvador. L'orage le surprit dans un ciel serein.
La rupture entre Luc Chessex et Cuba survint en 1975. Sans explication, il a été embarqué dans un avion et expédié en Suisse en tant que «personne indésirable». Le silence radio dura près de trente ans.
Même à La Havane, le temps semble guérir les blessures. En novembre dernier, Luc Chessex est retourné à La Havane. La Photothèque de Cuba exposait, pendant deux mois, quarante de ses photos d'Amérique Latine et de Cuba. L'exposition était soutenue par l'historien de la Ville de La Havane et par l'ambassade de Suisse.
Chessex et l'école de Cuba
Dans la présentation historique, les collègues cubains du photographe évoquent l'influence exercée par Luc Chessex sur toute une génération de Cubains. Reynaldo Gonzalez, ancien compagnon de route, a écrit dans son hommage: «Le vieux Luc nous sauve avec son arme préférée: la provocation de la pensée par l'image.»
L'animosité entre le photographe suisse et Cuba semble donc disparue. «Il a fallu du temps pour guérir les blessures», commente-t-il.
Luc Chessex est à nouveau quelqu'un à Cuba. Il a pu parcourir les ruelles étroites de la vieille ville, rencontrer des amis. Il imagine même y refaire des photos, comme il l'a déclaré au magazine culturel «La Jiribilla»: «Si je reviens, je ferai un monument photographique sur la rénovation de la vieille ville de La Havane.»
swissinfo, Erwin Dettling, La Havane
(Traduction de l'allemand: Isabelle Eichenberger)