© Les Maquis
Voici quelques lignes écrites par Antoine Bruy où il décrit son travail :
"De 2010 à 2013, j’ai voyagé à travers l’Europe en auto-stop dans le but de rencontrer ces hommes et femmes qui ont fait le choix radical de vivre loin des villes, en rupture avec un mode de vie qu’ils considèrent bien souvent comme étant obsédé par le rendement et l’efficacité et qui aurait la consommation pour seul horizon.
Dépourvu d’itinéraire précis, forcé par les rencontres et le hasard, ce voyage aura pris à mes yeux le sens d’une quête initiatique finalement similaire à celles de ces familles. Huit de ces expériences sont ici relatées, et suivent des destins bien particuliers. Dans ce travail, c’est moins une profondeur politique et théorique que j’ai cherché à sonder qu’une pratique quotidienne et immédiate, d’où une certaine nécessité d’opérer un travail de détachement face à des images qui nous forcent pourtant à nous positionner.
L’hétérogénéité des lieux et des situations rencontrées nous montre en effet le magnifique paradoxe de la poursuite d’une utopie par des tâtonnements empiriques permanents. Constructions instables, récupération et détournements astucieux, ou encore applications de théories agricoles hétéroclites donnent ainsi à voir la richesse des trajectoires humaines. Les stratégies déployées visent à une plus grande indépendance énergétique, alimentaire, économique ou sociale. Il y a là comme une réponse spontanée aux sociétés que ces « néo-ruraux » ont quittées mais dans certains cas, le doute et les incertitudes planent. L’espace a ainsi beau être exploité, il n’est jamais soumis ; le temps, lui, a perdu sa linéarité tendue pour devenir un rythme lent et réfléchi. Plus de tic-tac mais le ballet des jours et des nuits, des saisons ou des cycles lunaires.
L’ensemble de mon travail photographique se nourrit de cette interrogation sur la place de l’Homme dans son environnement ou comme l’écrivit Johann Van der Keuken, « Il ne s’agit pas de montrer qu’il y a ceci ou cela. Il s’agit de montrer comment c’est, comment c’est d’être dans un espace donné ». Le rapport des êtres à l’intimité, à leur environnement matériel, enfin aux conditions économiques et intellectuelles qui les déterminent ont, à des degrés divers, alimenté l’ensemble de ma production. On peut retrouver ces préoccupations dans ma série intitulée « Staged Desires » sur le thème des maisons closes en Suisse, la série « Toys’s Land » avec ses habitations aseptisées et factices, ou encore à travers « One-to-one Scale » et son regard sur les tentatives démesurées d’érection exnihilo de nouvelles villes écologiques. Comme un contrepoint à ces errances, « Les Maquis » constituent une analyse de l’évasion dans toute sa rassurante vulnérabilité."
© Antoine Bruy