©Claire Chevrier Espace de représentation 20 (Stade Foro Italico)
Expositions du 29/01/2015 au 21/3/2015 Terminé
Le bleu du ciel 12, rue des fantasques 69001 Lyon France
Depuis plusieurs années les thèmes récurrents dans mon travail sontliés à la mémoire, à la responsabilité, au pouvoir... Le corps et l’es-pace, les lieux et les traces en sont les motifs. Mes images inter-rogent le monde avec, en filigrane, comme un fil ténu la représenta-tion d’une violence latente contenue dans une multitude de réalitéssingulières.En 1997, à travers les images « Bunker », « Tranchée » « Vercors »...Il est question de donner à lire les traces de guerre dans le pay-sage contemporain et d’interroger l’émergence de la mémoire comme uneréalité nouvelle. Il s’agit aussi d’une réflexion sur la position duguetteur, dans quelle attitude physique et mentale est-il à l’inté-rieur d’une construction produite par l’homme tel qu’un bunker, unetranchée ou un avion survolant le Vercors ? Le bleu du ciel 12, rue des fantasques 69001 Lyon France
Comment l’espace-temps etla stratification de différentes temporalités opèrent-ils ?Après avoir réalisé dans la région Rhône-Alpes, des photographiesd’espaces ayant l’empreinte de constructions industrielles ou parfoisde leurs ruines : « Paysages mi- industriels mi- ruraux», j’abordel’idée de décor dans le paysage dont les dimensions architecturalesde certains lieux vont me guider vers la ville et l’urbain. Des en-treprises « Philips » qui construisent seulement des façades de bâ-timents pour présenter des systèmes d’éclairage en extérieur aux «Showrooms » de Hong Kong conçus par des promoteurs où la vue impre-nable sur la baie est déjà un caisson lumineux, je questionne la fron-tière entre réalité et fiction, la perte des limites et des repères,leurs dissolutions.Lors d’un voyage à Hong Kong en 2000, je continue à m’intéresser aupaysage et plus particulièrement à cette limite entre des restes denature et la périphérie de la ville. Par la suite je développe un pro-jet plus vaste autour de mégapoles : Bombay, Rio de Janeiro, Lagos,Los Angeles, Le Caire...Ce travail est pour moi une façon d’interroger la place de l’individudans la constitution des mégapoles.
©Claire Chevrier
À quelles conditions « l’hommesans qualité » peut-il s’approprier ou se réapproprier un espace quiest construit sur une image, une économie et un projet de société quilui est, souvent culturellement étranger ?Au delà des questions strictement urbaines, sociales ou politiquesliées à l’économie mondialisée, l’implantation de l’homme, l’évolutionet le déplacement de son habitat, de son cadre de vie révèle aussi uncomportement, une adaptation, un usage de l’espace par exemple lesstratégies de survie sont les mêmes dans toutes ces mégapoles.La captation d’images résultant de ces voyages successifs me permet derévéler les points communs, les écarts, les ressemblances et les dis-semblances de ces lieux, mais aussi la permanence de ruptures, de bar-rières visuelles, de violences urbanistiques...
Dans une phase intermédiaire, mon propos se déplace de l’échelle dela très grande structure urbaine à l’observation de l’espace dédiéà l’homme dans toutes ces activités. Cela nécessite un changementd’échelle, un rapprochement, une focalisation sur ces espaces intermé-diaires et notamment celui du travail.Pour aborder cette question du « corps dans l’espace du travail » jetraverse différentes villes, différents territoires, Romans sur Isèreet ses abords, puis le Nord-Pas-de-Calais et Charleroi en Belgique,des lieux à des périodes charnières économiquement.Comment le corps évolue dans son espace de travail mais aussi le mou-vement de ce corps en relation avec les outils utilisés. Comment unou des corps s’inscrivent dans un espace intérieur ou extérieur dé-dié à une activité précise, scénographiée, organisée, ritualisée parla fonction et en relation avec l’emploi ? Il s’agit d’interroger lastructure et l’organisation de l’espace du travail en relation avecles usagers.Comment l’individu occupe cet espace, seul ou en équipe, arrive à sel’approprier ou pas?...
©Claire Chevrier
Je montre des lieux, qui sont à la fois spécifiques et communs. JeffWall définit ce type d’images comme « presque documentaires ».Pour moi ce n’est pas travailler sur un sujet mais avec des éléments: un homme, une femme, un groupe, un espace avec une lumière particu-lière, une atmosphère...Comment tient un espace ? J’essaie de faire des images ouvertes, métonymiques, des images géné-riques.
Des mondes qui passent
Ce qui caractérise d’emblée le travail photographique de Claire Chevrier estcette rigueur de composition, qui la range d’emblée dans l’esprit du « ta-bleau », que Jeff Wall avait initié en son temps, de celui qui nécessite letirage grand format, afin que l’on puisse s’immerger dans une vision pluscontemplative qu’épidermique.La description des lieux urbains est son sujet, elle cherche à l’élever aurang d’art : « Là tout n’est qu’ordre, calme et volupté » et qu’importe si lesterritoires abordés ne rentrent pas dans les critères de beauté habituelle.Elle s’en saisit scrupuleusement leur octroyant le statut de paysages, mêmesi ils relèvent quelquefois de la banalité industrielle dans l’inconscientcollectif. A la suite d’ Antonioni dans son « Désert rouge », est ici redoréle blason des espaces utilitaires, où Claire Chevrier pose son regard, là oùsouvent on le détourne.
Ainsi l’approche documentaire si prégnante dans son oeuvre, ne fait pas écranà la plénitude visuelle ressentie, devant ses constats de nos sociétés ac-tuelles, elle est au contraire enrichie d’une lecture seconde, qui entraîneune réflexion sociologique et architecturale sur cet état des lieux.Ses cadrages sont toujours simples et précis, volontairement descriptifs,et ses perspectives rétablies de sorte que le regard reçoive une impressionimmédiate d’unité, sensation presque chirurgicale, qui permet ensuite de sepencher sur l’observation des détails, constitutifs de l’image. Bien qu’elledécoupe des tranches de réalité choisie, il ne semble pas y avoir de « horschamp » dans ses photographies, chacune d’elle se présentant comme unique,autosuffisante dans ce qu’elles décrivent, et n’envisageant ni un hors champ,ni un autour », même si elles s’inscrivent dans une thématique sérielle abordéesous l’angle des espaces territoriaux.
Qu’il s’agisse de Rome, d’Alger ou de Charleroi, c’est la résidence qui com-mande à cet ensemble iconographique. Et la résidence n’est pas uniquementaffaire de commande, mais d’esprit : celui du voyageur de l’artiste de laRenaissance à nos jours, qui y fonde sa démarche créatrice, curieux du monde.Claire Chevrier réside dans les villes, et s’y promène, ordonne ses visions etnous réfléchit ses « espaces de représentation », comme elle aime à le souli-gner; et ceci sans utiliser de dispositifs ou de protocoles rigides en amont.Son point de vue : l’endroit d’où elle regarde, paraît toujours naturel, portéau grè des promenades, bien qu’il relève d’un cheminement réfléchi: « là estl’ordre »...Tout est dans le champ du tableau urbain, qu’elle divise en vues d’intérieuret vues d’extérieur. Tout est emprisonné dans la fenêtre de l’objectif, quisynthétise sa pensée visuelle. Car il s’agit bien évidemment de penser l’imagede nos environnements quotidiens, de leur apporter un éclairage nouveau, mêmesi la spontanéité et la poésie n’en sont pas absentes. Mais surtout de ne paslaisser le sentiment esthétique court-circuiter son appréhension.
Si l’esthétisation en ressort malgré tout, c’est à cause de cette impression générale consécutive à ces descriptions familières, et non du fait d’un filtre recon-naissable, avec ses codes visuels conventionnels : tonalité de couleur, effetde flouté, ou cadrages alambiqués et textures, « là est la vraie volupté »....Les lumières sont neutres, comme pour ne pas déranger les objets référentielset référencés, les premiers plans restent la plupart du temps ouverts,avec de grands aplats vides et grisâtres qui évoquent ces esplanades, sur les-quelles on contemple le lointain, face à l’horizon quand ils ne sont ici cernéspar le bâti, « là est le calme »...
Le regard pénètre le cadre, naturellement du sol vers le ciel, déroulant cetteidée force « d’entrée dans l’image », comme si l’oeil pénétrait dans le champet qu’on s’attendait à y voir apparaître le spectateur, ce passeur.Ces grandes étendues du premier plan qui calment l’esprit, le font respirer,avant d’avancer dans la profondeur, cette illusion de transparence, qui donnece sentiment permanent de l’omniprésence du réel.Cette absence de « hors champ » dans les oeuvres de Claire Chevrier apporteencore cette perception diffuse de complétude et de finitude, qui l’a cer-tainement obligée à mettre en scène le contenu de ses tableaux, du moins àles disposer selon son goût. C’est en cela que le travail de Claire Chevrierrejoint la modernité : elle « performe » ses photographies, les théâtralise ausens où l’entend l’historien Michel Poivert.Souvent les personnages saisis dans les exercices familiers de leur travailjournalier paraissent avoir été dirigés, comme des acteurs d’une scène re-pré-sentée.
On est bien au coeur de la représentation: présenter une seconde foisce qui devait disparaître dans l’instant, rejouer la présence saisie par lehasard de la prise de vues : face à « l’ Ici et maintenant », où l’artiste ytrônait avec son appareil, bien conscient que les « mondes passent » et qu’ilne pouvait être que ce témoin qui fixe ce qu’il voit.Charleroi, Rome, Alger, revus dans cette exposition où aucun concept symbo-lique ne relie les trois villes, se rencontrent à la croisée des résidencesphotographiques, où Claire Chevrier nous pose là, comme si elle nous abandon-nait où elle est passée.Avec Rome, éternelle et invisible à force d’être bue des yeux, Claire Che-vrier revisite les images des restes mythologiques de Cinecitta, l’église dest Giovanni ou la Villa Médécis pétrifiés de l’histoire, qu’elle engrange avecdélicatesse, nous délivrant des inserts dépouillés de leurs ornements tradi-tionnels, d’un monde en transformation.A Charleroi ville industrielle, elle évite le romantisme des errances de Rim-baud et Verlaine, pour nous plonger scalpel en main, à la manière du vieux Cézanne et de ses volumes sur l’Estaque, dans le tissu contemporain et qua-siment charnel de la ville, où l’horizon se borne aux avenues de bêton, aux grands ensembles sur fond de ciel terne, qui ravivent tout ce monde du travail,pourtant vide de présence humaine.