Galerie Catherine et André Hug 40, rue de Seine 2, rue de l'Echaudé 75003 PARIS France
Odyssey, mon dernier travail, est né d’une valise pleine de photos qu’une famille américano-japonaise avait abandonnée à Lahaina, Maui, Hawaï ou j’ai habité. Cette valise avait été récupérée par un Français du nom de Thomas Hardy que je ne connaissais pas. Il est passé par hasard dans mon atelier, a vu une photo de Lahaina, m’en a parlé. Il m’a montré ces photos, une seule fois. Puis deux ans plus tard, par hasard de nouveau, on s’est rencontrés dans une agence de voyage. Avant de quitter définitivement la France, il a décidé de me donner cette valise. Pendant des années, j’ai regardé ces photos, j’en ai utilisé des fragments dans mon travail, sans vraiment savoir quoi en faire. Ce n’est qu’en 2013, lorsque j’ai été invitée à exposer au Maui Arts and Cultural Center et au Honolulu Museum of Art, que j’ai compris : tout se passait comme si ces photographies avaient besoin de retourner chez elles, là d’où elles venaient, en se servant de moi. Leur odyssée était en soi porteuse d’un message des générations passées adressé à la jeunesse d’aujourd’hui : N’oubliez pas vos ancêtres. N’oubliez pas d’où vous venez.
Victorian © Miki Nitadori
Je souhaite apporter un nouvel éclairage sur des photos que l’on dit ordinaires, laissées pour compte dans un coin sombre de chaque foyer, et réévaluer ainsi leur dimension patrimoniale et culturelle. Basée sur des photographies datant du fin du X?Xe siècle jusqu’aux années 1950, Odyssey répond à un protocole plastique très précis : après avoir scanné et agrandi ces images, je les transfère manuellement sur des tissus imprimés figurant, selon moi, la pluralité des modèles culturels, traditionnels et symboliques. Mais aussi leurs interconnections, leur élaboration et les modifications que le voyage imprime à leurs formes. Hawaï par exemple a un lien avec l’Europe et l’Asie depuis la découverte de son existence par l’Occident . Les chemises aloha sont d’origine européenne — via l’immigré japonais qui avait réinterprété des vêtements européens pour en faire des vêtements de travail et qui, ensuite, a utilisé des tissus de kimono pour la fabrication de ces chemises, ensuite commercialisées à Hawaï.
Les formes, les motifs, les dessins et les écritures de ces tissus ne sont pas que décoratifs à mes yeux. J’ai grandi dans des cultures habitées par les signes et les formes. La superposition dans mes œuvres de la photographie et du tissu (du motif, du dessin, du signe) vise aussi à modifier le point de vue du spectateur sur les matériaux utilisés. Mais elle instaure aussi un dialogue fictionnel entre l’individu et sa communauté de vie ou d’adoption. Ainsi se structurent des pièces uniques répondant à une méthodologie singulière qui, dans la lenteur et l’endurance physique qu’elle suppose, rejoint l’exigence de tout exercice de mémoire.