© Bertrand Flachot
Expositions du 6/11/2014 au 4/12/2014 Terminé
Galerie Felli 127 rue Vieille du Temple 75003 Paris France
Galerie Felli 127 rue Vieille du Temple 75003 Paris France
© Bertrand Flachot
Dans le vocabulaire de la marine, la ligne de flottaison désigne le trait qui sépare la partie immergée de la coque d’un navire – les œuvres vives – de sa partie émergée – les œuvres mortes. Les œuvres que Bertrand Flachot présente cet automne à la galerie Felli sont, elles, plutôt vives : elles nous immergent dans la douce ambiguïté formelle qui caractérise son univers plastique. Ici, lignes et traits suivent, en les accentuant, les méandres de la mémoire des lieux traversés dans Paris – ce Paris sans fin de Giacometti auquel il rend incidemment hommage. Une mémoire liquide comme de l’eau, fluide conducteur d’un geste graphique qui délie, en le faisant remonter du fond du fleuve, le double sédiment étymologique du mot graphein : dessiner et écrire. Ainsi, le titre donné par l’artiste à cette nouvelle série de travaux nous donne des indices en cascade au sujet de ce qui s’écoule au fil de ces images des bords de Seine. Celles-ci évoquent plus précisément un double trajet, dans l’espace et dans le temps, dont les tracés se rejoignent, se superposent et s’entremêlent à la surface satinée de la feuille de papier : là où la Seine – la sienne : celle dont les berges s’effilochent comme les franges du souvenir – est le confluent du passé et du présent. Car Bertrand Flachot dessine inlassablement le second pour tenter de récrire le premier, parti en cendres en ce jour de février 1990 où toute sa production artistique fut décimée dans l’incendie de son atelier du Quai de la Seine. De son travail, comme du trajet en bord de fleuve associé à cette période de sa vie, il ne lui reste que des images mentales. Mais loin de s’être dissipées au fil des jours, l’artiste a éprouvé leur étrange pouvoir de survivance, dont ses œuvres rendent compte, une nouvelle fois, avec soin. Comme le pensait Aby Warburg, les images sont des fantômes capables de traverser les frontières de l’espace et du temps ; c’est de cette façon qu’elles durent dans nos mémoires. Ce balayage sans fin de l’espace de la photographie auquel Bertrand Flachot se livre nous parle ainsi de la migration des images mentales, ces griffures de fantômes qui prennent sans cesse de nouvelles formes dans le réel.
Dans la vie, on le sait, il ne suffit pas de tirer un trait pour séparer nettement ce qui est mort de ce qui est vivant : la ligne de flottaison, en l’occurrence, est trouble, évanescente, espiègle et mouvante. Par suite, l’art n’est véritablement à l’image de la vie que s’il nous donne à voir et à penser l’interpénétration, l’incorporation mutuelle, sinon l’étrange et mystérieuse parenté des œuvres vives et des œuvres mortes dans le sillage de notre histoire.
Texte de François de Coninck pour l’exposition personnelle de novembre 2014 édité dans le catalogue d’exposition.
© Bertrand Flachot