Jeffrey Silverthorne Billerica Prison, 1976 © Jeffrey Silverthorne, courtesy Galerie VU’
Expositions du 18/10/2014 au 18/1/2015 Terminé
Musée Nicéphore Niépce 28, Quai des Messageries 71100 Chalon sur Saône France
Première rétrospective européenne, l’exposition met en lumière le travail de Jeffrey Silverthorne [né en 1946], photographe américain explorant avec constance depuis quarante ans les sujets les plus extrêmes.Musée Nicéphore Niépce 28, Quai des Messageries 71100 Chalon sur Saône France
Des morgues, où dès les années 1970, il arrive à transcender la représentation de la mort, aux portraits crus de travestis et de transsexuels, la représentation du corps dans tous ses états demeure récurrente dans son œuvre. Les références aux grands maîtres de la peinture se mêlent aux expérimentations sur le médium photographique : superpositions, découpages, collages... La mort, le sexe... l’artiste y scrute ses angoisses, ses obsessions et nous met face à des peurs viscérales pour nous aider à mieux les dominer.
Il a suffi qu’une nuit des années 1970, un travesti sorte d’un night-club de Providence pour que le photographe, à l’instant même fasciné, jette aux orties toutes les leçons de bon goût et la morale protestante. Jeffrey Silverthorne, sans oublier d’où il venait, sans renier ses maîtres en photographie, s’abandonne alors à l’incongruité de ce qu’il voit. Il admire ce paraître, cette construction d’une autre personnalité. Ces créatures, Rhonda Jewels, Joey, Dougie et Poulie exprimaient dans ce jeu sur elles-mêmes une liberté sans commune mesure dans la sclérose du monde. Dès lors, la frivolité retint son attention. De ce moment, illumination de jeunesse, il gardera l’évidence initiatrice des actes créatifs. Autre conclusion définitive : seule la photographie a le pouvoir de magnifier cet effet de présence des êtres rejetés par la société. Même les morts trouvent leur place dans ce spectacle qui n’a rien de dérisoire. Exister ou plutôt faire exister, — il n’y a pas d’autre preuve photographique —, c’est le privilège de n’avoir qu’à être là, différent, dans l’objectif du photographe. Tous les personnages de la troupe de Jeffrey Silverthorne se révèlent fascinants, même s’ils s’en défendent. Déficients mentaux, prostituées, clandestins, ils ne peuvent renoncer. Si tous sont passifs dans la réalité, ils obtiennent dans le cadre de l’image la reconnaissance qu’on leur a toujours déniée.
Le théâtre de Jeffrey Silverthorne est un étonnement réciproque. Le photographe et les sujets photographiés se prêtent tous à un récit auquel personne ne croit vraiment. Mais chacun est médusé par la présence de l’autre. Les personnages se conduisent selon les indications de l’auteur. Ils conservent cependant leurs attitudes habituelles parce qu’ils ne peuvent y déroger. Ils ne font que ce qu’ils savent faire, choses sur lesquelles on ne plaque aucun mot connu. Car aucun commentaire n’accompagne le récit de ces faits et gestes, comme d’ailleurs aucune analyse ne les explique : le photographe étant bien incapable de donner à ses actions des causes ou des finalités.
L’œuvre entière tourne autour du drame de la mort et des tentatives de l’homme pour cohabiter avec cette angoisse. Ici, la mort se montre paradoxalement pour ainsi dire toute nue, mais parée, voire ornementée. L’apparence est la seule consolation à la disparition de l’être.
La nature réelle de l’homme se découvre dans l’organisation du simulacre. Aux prises avec la nuit du corps humain, nous n’avons d’autre échappatoire
que le fard et la tromperie. On n’y comprend rien, alors on feint en recouvrant et en mystifiant, en nous apprêtant nous et les morts.
Jeffrey Silverthorne One couple. Detroit Negatives, 1991-94
© Jeffrey Silverthorne, courtesy Galerie VU’
Jeffrey Silverthorne Rosa with lipstick, Tex Mex, 1986
© Jeffrey Silverthorne, courtesy Galerie VU’