Expositions du 31/03/2006 au 11/06/2006 Terminé
Jeu de Paume 1 Place de la Concorde 75008 Paris France
Exposition présentée dans le cadre
du Festival francophone en France, "francofffonies !"
du 31 mars au 11 juin 2006
Vernissage le 30 mars
Son travail — photographies et vidéos — exprime sa double appartenance culturelle, et pose la question du "passage" entre le Sud et le Nord, le Maghreb et l'Europe.
Dans un texte intitulé Le détroit ou une vie pleine de trous (1998-2004), Yto Barrada observe “le désir d'occident” des laissés-pour-compte de l'Afrique, clandestins de l'émigration, prêts à franchir le Détroit pour échapper à leur sort et découvrir un nouveau monde, quel qu'en soit le prix à payer.
"Même effondré, le rêve colonial nous a laissé en héritage un régime inique de gestion et de perception de la mobilité entre Nord et Sud de la Méditerranée. Dans ce goulet d'étranglement nommé Détroit de Gibraltar, le droit de visite est désormais unilatéral.
Ce territoire de l'entre-deux a l'étonnante particularité d'être marqué par la coïncidence entre un espace physique, un espace symbolique, un espace historique et, enfin, un espace intime. (…)
Quand je photographie à Tanger, je ne peux pas ignorer que je suis dans la ville natale de mon père, où ma mère est venue se perdre. Je ne cherche pas à dramatiser la tentation et les dangers du départ. En revanche, je n'ai jamais vraiment bien su moi-même où je suis quand je parcours cette ville, dans quelle histoire. Je peux photographier tous les habitants qui veulent la quitter, mais moi, j'y reviens toujours et j'y vis dans le confort de la maison maternelle. Dans mes images, j'exorcise sans doute la violence du départ (des autres) mais je me remets dans la violence du retour (à la maison). L'étrangeté est celle d'une fausse familiarité. Je photographie des tentations, et non pas d'ailleurs de véritables tentatives, à la façon du reportage. Dès que je suis de retour à Tanger, je suis de nouveau en état d'absence, je m'absente. Il y a peut-être un rapport entre cette expérience très personnelle et la situation d'une population qui cherche à partir du pays, qui n'y a pas trouvé sa place. J'ai commencé à photographier la maison de ma mère, la violence des rapports domestiques et bien sûr, j'y retrouve au plus proche, bien plus proche, le peuple qui rêve d'absence."
"On dit qu'il vaut mieux ne pas avoir de vie qu'une vie pleine de trous. Mais on dit aussi :
Mieux vaut un sac vide que pas de sac du tout. Je ne sais pas.
Une vie pleine de trous, Dris Ben Hamed Charhadi (1965) recueilli et transcrit par Paul Bowles
En arabe, tout comme en français et en anglais, détroit conjugue étroitesse et détresse. L'entreprise coloniale a laissé un héritage complexe qui a façonné en profondeur le bassin méditerranéen et remodelé l'image et l'usage du Détroit de Gibraltar. Avant 1991, les Marocains munis d'un passeport avaient toute latitude de voyager en Europe. Mais depuis les Accords de Schengen, le droit de visite, désormais unilatéral, ne s'exerce qu'au bénéfice des seuls Européens. Toute une génération de Marocains a donc grandi les yeux rivés sur le Détroit, cet espace singulier et troublant, un lieu où se recoupent les dimensions physique, symbolique, historique et intime.
De Tanger, par temps clair, l'horizon des côtes marocaines est proprement espagnol. Le Détroit — devenu depuis deux décennies la porte d'entrée principale de l'émigration clandestine vers l'Europe — est aujourd'hui un vaste cimetière marocain. La nouvelle émigration diffère de celles qui ont précédé. Elle a son vocabulaire, ses légendes, ses chansons et ses rituels. On ne dit plus "il a émigré" mais "h'reg" : il a brûlé — brûlé ses papiers, son passé, une fois sur deux sa vie même. À travers l'Afrique, les exploits des brûleurs ou des brûlés courent les rues et leurs récits attisent la tentation de l'ailleurs. Et Tanger, longtemps délaissée, comme l'ensemble du nord du Royaume, est devenue la ville butoir de milliers d'espérances.
Au travers d'une série d'images qui soulignent la tension, si continûment palpable dans ma ville, entre la dimension allégorique et la réalité brute, immédiate, je tente de mettre en lumière la nature métonymique du Détroit. Dans mes photographies, j'essaie d'exorciser la violence du départ (des autres) tout en vivant l'expérience, qui n'est pas dépourvue de violence, du retour (à la maison). Il y a peut-être un rapport entre cette expérience très personnelle et la situation d'une population qui cherche à partir du pays, qui n'y a pas trouvé sa place. L'étrangeté qui en résulte reflète une fausse familiarité. Je cherche à saisir des tentations et non pas, à la façon d'un reportage, de véritables tentatives. Ici point de passants innocents, de simples flâneurs. Plutôt que la nostalgie d'une ville ghetto internationale, je voudrais montrer comment s'inscrit cette obstination du départ qui marque un peuple."
L'exposition Yto Barrada présente les séries :
— Autocars (x 9 photographies)
Gros plans de détails de logos d'autocars au départ de Tanger, tels que décrit par des adolescents, candidats à l'émigration.
— Jardin Public, Tanger 2005, “Les Dormeurs“(x 5 photographies)
Portraits de dormeurs dans un jardin public.
— Détail (x 15 photographies)
Bornes de contrebande de cigarettes
— Contrebande (x 5 photographies)
Portraits et typologie de figures de la contrebande dans le Nord du pays (porteuse, lanceur…)
— Belvédère
Portaits de dos, noir et blanc, tournés vers la mer, regardant le détroit de Gibraltar
— The Last Days of the International Zone
Une série de portraits, trouvés, de policiers marocains, pendant les dernires jours du statut international de la ville de Tanger en 1958
— Un flip-book : vues du Détroit de Tanger, la côte espagnole apparaissant ou disparaissant en fonction du temps qu'il faitJeu de Paume 1 Place de la Concorde 75008 Paris France