© Alexandra Demenkova
Expositions du 06/09/2014 au 8/11/2014 Terminé
Le bleu du ciel 12, rue des fantasques 69001 Lyon France
HUMAINES TROP HUMAINESLe bleu du ciel 12, rue des fantasques 69001 Lyon France
Demenkova / Popa
Loin des formalismes déshumanisés trop souvent en vogue dans certains réseaux d’art contemporain, Alexandra Demenkova et Dana Popa empoignent le médium photographique à bras-le-corps, reléguant le discours métaphorique à distance, comme doit l’être toute préface. La photographie est à n’en pas douter le support créatif le plus approprié à la transcription de la réalité qui même si il ne s’identifie pas à elle, en est un prélèvement direct : l’insigne du réel; comme Pasolini aimait à définir l’image cinématographique - cette dernière comme extension d’un temps animé de plusieurs images immobiles -.
Mais le monde de la photographie est aussi distinct du monde réel, enfermé qu’il est dans sa double dimension, cerné par les limites du cadrage; on en prend immédiatement conscience au défilement des photographies des deux artistes, bien qu’elles utilisent chacune une esthétique différente. D’abord par le choix de la chromie: Alexandra Demenkova, photographe russe, travaille en noir et blanc dans une proximité émotive renforcée par l’utilisation d’un grand angulaire. Ce choix la rend identifiable au premier coup d’œil à la stylistique du photo reportage traditionnel - leurre rapidement démasqué à la seconde vision. Dana Popa photographe roumaine vivant à Londres, aborde ses sujets avec la couleur, dans une distance plus concertée avec son sujet, incluant immédiatement une notion de temps suspendu, qui lui confère un air de « contemporanéité » plus affirmé. Toutes deux sont femmes, il est important de le souligner, tant l’implication affective s’impose dans ces deux approches si semblables et si éloignées à la fois, mais qui traitent avec la même sensibilité de la condition féminine. Toutes deux éliminent tout artifice formel pour s’approcher au plus près de la beauté, dans un style brut - car la beauté est toujours crue et nue - et leur constat nous saisit au visage provoquant un éveil et une réaction immédiats, tant l’évidence de la souffrance et de la violence faites aux femmes, est dévoilée avec simplicité. Leur message n’est toutefois pas dénué, ni d’espérance, ni de joie, qui traversent parfois ces visages pourtant prisonniers de situations lourdes et inextricables et la mélancolie, le sourire, l’éclat de félicité traversent soudain cet océan de tristesse et de vie dure.
Le contexte d’Alexandra Demenkova s’enracine plutôt dans le vécu de femmes russes en milieu campagnard, avec l’existence difficile dans les villages isolés, où le retour de l’été enchante quelques instants ensoleillés. Mais ici, l’on regarde et l’on ne décrit pas, on analyse encore moins et cette entrée dans ce monde nouveau et pourtant familier de l’imaginaire de l’âme slave, touche simultanément et intensément le sentiment. L’on passe d’une image à l’autre, d’une femme à l’autre, ensuite l’on y reviendra, car déjà le besoin s’en fait sentir, qui pressent la profondeur sous jacente de chaque scène délivrée, chaque photographie faisant son chemin d’imprégnation lente dans notre univers limbique. Alexandra partage souvent de larges laps de temps avec ses modèles, pénétrant leur vie quotidienne et saisissant leur part d’universalité prélevée du quotidien, qui donne cette sensation de familiarité au spectateur, au delà d’une volonté biographique psychologisante ou sociolo- gisante.
De son côté, Dana Popa s’est plongée longuement dans l’univers clos des réseaux de prostitution en Angleterre venue de l’est, qui s’apparente à un trafic de femmes sous forme d’esclavagisme moderne. Ces femmes ayant acquitté des frais de transport pour se rendre dans leur destination de « rêve », sous la protection de proxénètes trafiquants qu’elles doivent ensuite rembourser en travaillant d’arrache pied pour violentées, battues et violées et surtout cloîtrées dans bordels modernes et clos où elles ne sont pas libres de leur passeport ayant été confisqués à leur arrivée, mais préfèrent souvent subir ces tortures insoutenables que de se retrouver seules dehors, perdues, libres mais en situation illégale. Dana est aussi retournée au pays d’où ces femmes ont émigrés, là où on les a oubliées et portées disparues, rapportant des icônes bouleversantes de ces intérieurs rustiques, mais plein de couleurs orientales.
Montrer ces deux oeuvres conjointement peut permettre au spectateur d’appréhender la différence entre le style documentaire prôné par Walker Evans et Alan Sekula et le style reportage à la suite de Sebastiao Salgado et Raymond Depardon. La différence entre les deux restant il est vrai, de plus en plus ténue , et tend même aujourd’hui à s’estomper du fait de la variété des lieux de monstration et de leur dépendance au marché de l’art.
Le style documentaire qu’Alexandra Demenkova et Dana Popa illustrent chacune à leur manière, -on le constate dans tous ces portraits de femmes- , s’inscrit dans une telle durée de production, aussi éloignée de l’actualité socio-économique que revendique le photojournalisme à travers des commandes circonstanciées, qu’elle prend ainsi une force d’imprégnation mentale qui marque l’imaginaire et le pousse au décryptage de ces réalités existentielles, où poésie et sociologie s’entrecroisent dans la subjectivité créatrice de leur auteur.
C’est Nietzsche qui écrivait que : « L’artiste force d’agir qui sommeille dans d’autres âmes » témoignent plus que de longs discours, baignées qui peut encore être plus « humaines, trop humaines » que les femmes de toujours?
Gilles Verneret Directeur artistique
Dana Popa
Dana Popa (Roumanie , 1977) est une photographe documentaire qui travaille principalement en Europe de l’Est et au Royaume-Uni. Elle obtient sa maîtrise en photographie documentaire et en photojournalisme au London College of Communication en 2006.
Elle oriente son travail autour des questions sociales et contemporaines, avec une attention portée sur les droits de l’Homme.
Le travail de Dana Popa a été montré au Royaume-Uni lors d’expositions personnelles à Impressions Gallery et Photofusion London, ainsi que dans diverses expositions collectives dans plusieurs pays. Ses photographies font partie de collections permanentes dans différents musées, comme le Musée de l’ Elysée, Portland Art Museum, Kiyosato Museum of Photographic Arts.
Sa série « Not Natasha » a reçu de nombreux prix : Le Premier Prix au Concours organisé par le Centre de Santa Fe, le Prix Jerwood Photography, ainsi que le Prix du Jury aux Journées internationales du Journalisme au Japon. Cette série a été commandée par Autograph ABP à Londres et a été publiée sous forme de livre en 2009.
Dana Popa a également fait des résidences d’artistes, notamment Light Work à Syracuse aux États-Unis en 2011.
Son travail est régulièrement publié dans des revues spécialisées : Foam International Photography Magazine, Foto8, Next Level, Portfolio Magazine, British Journal of Photography, Vrij Nederland.
© Dana Popa
not Natasha
« Not Natasha » traite de l’esclavagisme sexuel subi par les femmes à travers une série photographique et des propos recueillis. Il s’agit d’une enquête sur une forme de violence généralisée faite contre les femmes.
Le trafic sexuel est devenu le commerce illégal le plus rentable en Europe depuis l’effondrement de l’Union soviétique. La République de Moldavie est devenue le principal fournisseur d’esclaves sexuels pour tout le continent avec jusqu’à 10 %
Échapper à ces trafiquants n’est pas simple quand certains de leurs clients sont des agents de police. Être en situation d’illégalité est parfois plus dangereux que de vivre dans une maison close. Ainsi leurs visas sont renouvelés même si elles sont gardées en captivité.
J’ai rencontré dix-sept femmes qui ont été victimes de la traite sexuelle. Certaines d’entre elles sont très fragiles, d’autres sont très fortes, mais toutes essaient de laisser derrière elles un passé non désiré. Je leur ai expliqué en détail les raisons de mon travail. Je devais être à la fois discrète et protectrice. Ces femmes sont toujours victimes de problèmes émotionnels très forts. Afin de préserver leur identité, tous les noms ont été modifiés. Pour comprendre l’impact plus large de ce commerce lucratif et illégal, je suis allée sur les lieux d’origines de ces femmes disparues depuis des années. Personne ne sait rien d’elles; elles ont disparu après avoir accepté un emploi à l’étranger et ne reviennent jamais. J’ai alors travaillé sur l’idée de la perte et de l’absence pour faire de mes photographies un document sur la douleur et la nostalgie de la disparue, mais aussi sur la preuve de l’existence de ces femmes.
Dans ce travail j’ai également voulu montrer les dommages psychologiques, les douleurs étouffées, les dommages externes, les identités féminines déchirées, le vide... Mais aussi la dignité humaine et l’espoir.
Natasha est le surnom donné aux prostituées originaires d’Europe de l’Est. Les victimes de ce trafic détestent ce surnom.
de la population féminine des fins de prostitution.
© Dana Popa
J’ai pris connaissance de réalité auprès de femmes ayant survécu à ce trafic et qui ont réussi à retourner dans leur pays d’origine. J’ai voulu voir et comprendre comment elles ont réussi à vivre avec ces traumatismes dans un monde qui ne connaît rien à leur sujet ; comment peuvent-elles vivre avec l’angoisse que leur mère ou leur mari puissent prendre connaissance de tout ceci pour finir par les rejeter. Ce projet retrace leurs histoires lorsqu’elles ont été violées, maltraitées et brutalement battues.
Des connaissances, des amis proches, des parents ou des copains vendent une fille pour 200, 500 et jusqu’à 2000 livres. Une fois arrivées dans le pays de destination, les femmes se voient confisquer leurs passeports pour être par la suite obligées de travailler comme prostituée. Elles ne seront libres qu’après avoir payé cette dette, mais elles seront revendues à un autre proxénète les empêchant ainsi de rembourser leur dette. C’est un véritable cercle vicieux qui génère beaucoup d’argent, permettant ainsi de pérenniser ce commerce illégal tout en gardant les filles en captivité.
Dana Popa
Our Father Ceausescu
Our Father Ceausescu est la reconstruction audacieuse du présent à travers un passé devenu ‘imaginaire’. Il s’agit d’une enquête sur la réalité vécue par ma propre patrie en étudiant la nouvelle génération plus proche du capitalisme que du communisme. J’explore l’intimité de cette jeunesse à travers son quotidien opposé aux souvenirs fugaces d’un passé révolu qui pourtant les imprègne ainsi que les paysages de mon pays.
Durant plus de deux ans, j’ai rencontré de jeunes roumains pour voir à quoi ressemblent leurs vies de nos jours. Pouvoir se connecter au monde avec Internet, avoir un accès aux dernières news, pouvoir voyager n’importe où en Europe, avoir la possibilité de conduire des voitures à 20 ans et étudier à l’étranger, les éloignent des dures réalités passées avec les longues files d’attente pour le lait, les rationnements alimentaires et les approvisionne- ments limités d’essence. Ils ne peuvent pas imaginer ce qu’étaient les disparitions de personnes, les 75 prisons politiques, les camps de travail, la censure quotidienne et les interdictions de voyager à l’étranger. Cette nouvelle génération n’a aucun souvenir du communisme de l’époque.
Je sentais que mon interprétation visuelle avait besoin de références concrètes pour comprendre cette époque passée. Ces références je les ai trouvé à travers des photographies da famille et de jeunes prises avant 1989, mais aussi à travers des fragments de mémoire sociale et des conversations que j’ai pu entendre dans les espaces publics, évoquant principalement la «fuite vers l’ouest».
Cette série parle de la façon dont cette jeunesse recherche son identité, une nouvelle génération qui navigue entre le passé et le présent. Comment se construire une image cohérente à partir de fragments de la mémoire commune et l’inspiration actuelle donnée par l’Ouest et comment cette synthèse apparemment contradictoires donne à cette jeunesse un sentiment d’entre-deux.
Dana Popa
Alexandra Demenkova
Alexandra Demenkova (Russie, 1980) est une photographe freelance basée à Saint-Pétersbourg. Elle s’est formée à la photographie après des études de photojournalisme à Saint-Pétersbourg et s’est perfectionnée en suivant de nombreux masterclass.
‘A l’âge de neuf ans j’ai demandé à mes parents de m’acheter un appareil photo. Je l’ai obtenu seulement à l’âge de 19 ans. Aujourd’hui je suis heureuse de ce que la photographie m’apporte. J’aime cette sensation que l’image se forme en une fraction de seconde. Quand je photographie je me sens tout simplement bien, je suis une magicienne. Je pense que ces quelques mots expliquent tout.’
Alexandra Demenkova a participé à de nombreux festivals comme le mois de la photographie en Slovaquie, le 11ème festival international de photographie d’Alep en Syrie, le 7ème festival photo d’Angkor au Cambodge etc...
Elle a également exposé dans de nombreux pays comme à la galerie Shortcuts à Namur en Belgique, la galerie H2O à Barcelone, au musée de la photographie à Riga en Lettonie, à la librairie Saint-Jean-Baptiste à Quebac ou encore au centre Andrei Sakharov à Moscou.
Alexandra Demenkova a également participé à plusieurs publications : 2012 Katalog, Journal de Photographie & Vidéo, Odense, Danemark 2012 Russian Reporter Magazine, Moscou, Russie, Février 2010 Kaze no Tabibito, magazine de photographie, Tokyo, Japon, Juin 2009 Future images, Livre, Milan, Iyalie
2009 This Day of Change, Livre, Tokyo, Japon
© Alexandra Demenkova
Portfolio Russe
Ce travail photographique s’est déroulé entre 2006 et 2013 en Russie. Les lieux varient entre les rives de la mer Blanche dans la région d’Arkhangelsk et des villages plus reculés et isolés.
J’ai parfois photographié ces endroits par hasard, ou à la suite d’une conversation entre amis, ou me rappelant un souvenir d’enfance...
J’entends le nom d’un lieu qui sonne comme une invitation, qui me paraît être plein de mystère et semble sortir tout droit d’un conte de fées. Unezhma , un nom à la fois tendre et effrayant - un village amené à disparaître. Pour s’y rendre il faut traverser la forêt une journée entière et en hiver il est impossible d’y aller.
Un établissement psychiatrique dans un village - les gens d’où je viens feraient des blagues à ce sujet , mais aucun n’iraient voir par curiosité ce qui s’y passe.
C’est ce genre d’endroits qui provoquent chez moi une envie irrésistible d’y aller.
Photographier me donne conscience de la fragilité de ce monde et de la stabilité toute relative créée par nos familles, de la limite parfois mince entre bonne santé et maladie mentale et physique, entre la normalité du quotidien et la misère, entre la liberté et l’emprisonnement à vie.
© Alexandra Demenkova
Dans les histoires et dans la vie des gens, j’ai vu l’espoir et le désespoir. A travers les pages d’un livre, l’écran de télévision ou la scène d’un théâtre je n’ai jamais retrouvé toutes ces émotions et ces situations qu’il m’a été donné de voir, des situations réelles que j’ai vues de façon novice et sans intermédiaire.
Alexandra Demenkova