Ce lundi 29 septembre 2014, un nouveau rebondissement apparaît dans l'affaire opposant la Fondation Carmignac à la lauréate 2014 Newsha Tavakolian. Voici sa nouvelle déclaration, postée ce lundi 29 septembre https://www.facebook.com/pages/Newsha-Tavakolian-Photography/440265656043589?fref=nf", mettant en place un nouvel ordre de la situation.
« Il y a deux semaines, j'ai posté une déclaration sur ma page Facebook, disant que je retournais le Prix Carmignac 2014, un prix de 50 000 euros, trois expositions et un livre. J'ai fait cela après des mois de débats avec le patron du prix à propos du contrôle de mon travail.
Les nombreux, très nombreux messages d'amis, de photographes et d'autres du monde entier ont été incroyables, je veux remercier tout le monde pour le soutien de la liberté artistique, qui ne doit pas être uniquement un slogan mais qui doit être respecté.
Ce week-end, la fondation Carmignac a fait un énorme retour en arrière, promettant qu'à partir de maintenant il n'y aurait plus d'interférence dans mon projet et que deux membres cruciaux du jury serait en charge de superviser mon travail, l'exposition et le livre.
J'ai decidé d'accepter ces nouvelles conditions, pour moi cela concernant une seule chose, être capable en tant que photographe de choisir le titre, le sujet et les textes de mon travail.
Ceci ne serait jamais arrivé sans l'engagement profond démontré par les membres du jury, qui ont défendu le principe principal qui nous fait tous aimer la photographie, le journalisme et l'art : la liberté d'expression
Communiqué de presse de la Fondation Carmignac
LA LIBERTÉ ARTISTIQUE A UN PRIX
En 2009, la Fondation Carmignac crée le Prix Carmignac Gestion du photojournalisme, avec pour mission de soutenir et promouvoir un travail photographique d’investigation effectué dans des territoires hors des feux de l’actualité, où les droits humains et la liberté d’expression sont souvent bafoués. Les régions de Gaza, du Pachtounistan, du Zimbabwe et de la Tchétchénie ont été traitées à l’occasion des premières éditions.
Défendre la liberté d’expression et de penser est sa raison d’être.
Depuis sa création, le débat fait partie intrinsèque du Prix. Cependant, sa 5ème édition consacrée à l’Iran a provoqué un débat d’une autre nature et nous regrettons profondément l’antagonisme qui a été créé entre la Lauréate, Newsha Tavakolian, et la Fondation Carmignac. Si nous n’acceptons pas les allégations de censure, contraires aux principes fondateurs du Prix, nous estimons que le débat engagé a néanmoins posé les bonnes questions sur les rôles respectifs du Jury et du mécène.
La Fondation a donc invité le Jury de la présente édition à se réunir lundi 22 septembre, en présence d’Edouard Carmignac, afin de prendre les dispositions nécessaires à la résolution positive de la situation avec la 5ème lauréate, Newsha Tavakolian, ainsi que celles touchant à la gouvernance du Prix.
Parmi les évolutions retenues, la Fondation Carmignac, en accord avec le Jury, s’est engagée à :
1. Faire évoluer la gouvernance du Prix afin que le photographe ait la garantie de sa liberté artistique et que la cohérence entre le projet qui reçoit la dotation et le projet final soit assurée. A cette fin, il est proposé, que le Président du Jury soit, dès aujourd'hui, le Commissaire Général de l’année.
2. Donner à Anahita Ghabaian, présidente du Jury de la 5ème édition, et Sam Stourdzé, membre du Jury, le commissariat de l'exposition et du livre de Newsha Tavakolian.
La seconde disposition est naturellement soumise à l’acceptation de la lauréate. Nous pensons sincèrement que les photographies de Newsha Tavakolian permettront au public d’appréhender les situations de vie en Iran dans toute leur complexité.
Nous tenons à remercier toutes les personnes ayant participé à ce processus de discussion : Christian Caujolle, Anahita Ghabaian, Celina Lunsford, Davide Monteleone, Reza, Marc Sealy, Jérôme Sessini et Sam Stourdzé. »
Article du 17 septembre 2014
Le prix Carmignac Gestion a vu le jour en 2009, proposant à des photojournalistes chevronnés de réaliser un sujet sur un thème donné. La bourse, d'un montant de 50 000 euros s'accompagne d'une exposition, et d'un ouvrage photographique. Davide Monteleone avait remporté le prix en 2013, pour son travail sur la Tchétchénie. En juillet dernier,https://www.facebook.com/pages/Newsha-Tavakolian-Photography/440265656043589?fref=nf". Le thème de cette édition était l'Iran, et la photographe, reconnue pour ses reportages poignants en Irak, Liban, Syrie - entre autres - remportait ce prestigieux prix.
Mais, coup de théâtre, un appel du bureau de presse nous informait la semaine dernière que l'exposition était pour le moment ajournée. Puis, le 11 septembre dernier, Newsha Tavakolian publiait https://www.facebook.com/pages/Newsha-Tavakolian-Photography/440265656043589?fref=nf"un texte vindicatif à l'encontre de la fondation, et annonçait refuser le prix Carmignac qui lui avait été remis. « Aujourd'hui, j'annonce qu'en raison de différences irréconciliables sur la présentation de mon travail, je retourne l'argent du prix et renonce à être la lauréate du Prix Carmignac Gestion du photojournalisme 2014, annulant toute coopération avec cette fondation et son patron, le banquier d'investissement Edouard Carmignac. » Les propos de la photographes sont lourds de sens, puisqu'elle avance en effet que son « acceptation des termes du prix de la fondation Carmignac Gestion était basée sur la compréhension que j'avais une liberté artistique totale en tant que photographe pour créer un travail qui est fidèle à ma vision comme un photojournaliste établit, et photographe d'art.
Malheureusement, cependant, à partir du moment où j'ai delivré ce travail, M.Carmignac insista à éditer personnellement des photographies, tout en alterant les textes accompagnants les images. L'interference de M.Carmignac dans le projet a culminé en choisissant un titre entièrement inacceptable pour mon travail qui saperait irrémédiablement mon projet. » Puis, ajoutant plus loin, « Je crois que la raison de l'annulation de mon projet est le simple fait que M.Carmignac n'a pas eu ce qu'il voulait, c'est à dire le contrôle total de mon travail selon sa propre idée établie de la façon dont l'Iran devrait être représenté. » Son texte est long, mais s'achève sur ces mots : « Je retourne par la présente et démissionne officiellement du titre de lauréate 2014 du Prix Carmignac Gestion du photojournalisme. Ma liberté artistique et mon intégrité ne peuvent être achetés. »
Joint par téléphone, Ivan Monème, directeur de la communication de Carmignac (Carmignac Gestion ainsi que la fondation), a donné la version des faits de la fondation : « Comme chaque année, un thème a été défini, l'Iran, il y a eu un certain nombre de candidatures, un jury s'est réuni et a retenu la candidature de Newsha Tavakolian sur la base d'un projet : La Burnt Generation. Après 5 mois de travail, Newsha Tavakolian a remis un reportage qui ne correspondait pas au projet initial. Newsha Tavakolian a invoqué des impératifs sécuritaires potentiels et avérés. Le ton de son message était solennel, les questions importantes puisqu’elles concernaient sa famille, ses amis et ses collègues. Pour ces motifs, elle souhaitait que nous transigions sur le projet, que ce soit sur son titre ou sur le choix des photos ect. Nous avons discuté avec Newsha puis nous lui avons indiqué que nous ajournions, à la fois pour protéger sa sécurité, et pour protéger la raison d'être de notre prix. Si nous lui avions dit « Newsha, il faut revenir au projet initial », nous l'aurions mise en danger. Si nous lui avions dit « Newsha il n'y a pas de problème, parce que vous êtes en danger nous acceptons de changer le projet initial », nous mettions en danger la liberté d’expression et nous acceptions que des pressions qui sont faites sur une personne, réussissent. Donc, nous l'avons prévenue que nous ajournions le prix. Puis nous avons vu arriver une charge médiatique dont la mèche est la page facebook de Newsha, qui raconte une toute autre histoire, celle d'une jeune photographe iranienne méritante et courageuse, censurée par un riche mécène de la place Vendôme. En réalité, Newsha nous a dit que nous devions accepter le nouveau titre, les nouvelles photos, et les nouveaux textes, car il y avait des problèmes de sécurité qui concernaient son meilleur ami, ses collègues, et son père. Nous lui avons dit que nous refusions, que nous voulions protéger à la fois sa sécurité, et la mission de ce prix, donc nous ajournions.
Nous n'avons pas censuré les photos de Newsha Tavakolian. Dire ceci est un mensonge ».
Des articles ont dès lors été publiés dans la presse, évoquant d'autres désaccords avec d'anciens lauréats, ce à quoi Ivan Monème répond, « Oui, Robin Hammond et Kai Wiedenhöfer ont eu des discussions avec Monsieur Carmignac. Edouard Carmignac a sa personnalité, il est passionné, il a voulu ce prix pour la liberté de la presse, il sait être provocateur. Oui, sans doute, lorsqu'il reçoit les photoreporters, ils discutent, parfois de façon un peu musclée. Mais à aucun moment il n'a été question de censure. D’ailleurs ce n’est pas ce que disent Kai et Robin : ils disent que ça a été compliqué. Rien de plus. » Et en ce qui concerne certains membres du jury, déçus de ne pas avoir été consultés, Ivan Monème précise : « c’est la seule erreur que nous ayons faite, nous aurions du appeler les membres du jury en leur disant que nous étions devant un cas de conscience, nous aurions du les réunir, et leur demander leur avis. »
Ivan Monème conclut « Si j'avais un message à faire passer à Newsha, je lui dirai que nous ne nous reconnaissons pas dans le portrait qui est fait de nous, surtout pas dans le fait d'être des censeurs. Nous avons passé à Arles des moments de complicité qui restent malgré tout dans mon esprit ». Nous continuerons à couvrir ces territoires difficiles après Gaza, la Tchétchénie. Nous sommes sur la 6ème édition du Prix, le sujet est « Les zones de non droit en France ». Nous avons déjà reçu des candidatures. La date butoire de dépôt des candidatures est fixée au 28 septembre. »
Newsha Tavakolian a quant à elle, également répondu à nos questions de la façon suivante : « La réaction de la fondation Carmignac est une manipulation claire de la vérité. Ils disent défendre la liberté d'expression, tandis qu'ils ont fait tout ce qui était en leur pouvoir, y compris des menaces, pour me forcer à accepter leur interprétation de mon projet. La question en jeu est ici mon droit pour la liberté artistique et l'ambition mal placée de M. Carmignac d'éditer, changer et changer mon projet, y compris son titre, à sa propre convenance. Je n'ai pas besoin de la "protection" de M.Carmignac comme il préfère appeler ce drame. Je travaille en Iran depuis 15 ans et j'ai du faire face à de nombreux problèmes, que j'ai résolue seule et dont je me suis débrouillée pour en raconter l'histoire. Ce dont j'ai besoin de lui est simple : ma liberté artistique et le droit d'avoir le dernier mot sur mon propre projet. »
A suivre, donc.
Claire Mayer