Darren ALMOND Night + Fog (Monchegorsk)(13), 2007 impression quadri sur vinyle Surface: 119,3 x 149,1 cm Collection FRAC Auvergne
Expositions du 4/7/2014 au 31/10/2014 Terminé
Musée d'Art et d'Archéologie Aurillac 37, rue des Carmes 15000 Aurillac France
L’ArpenteurMusée d'Art et d'Archéologie Aurillac 37, rue des Carmes 15000 Aurillac France
Conjointement à l’exposition consacrée à Marc Bauer, L'Architecte, le Musée d’Art et d’Archéologie d’Aurillac accueille un ensemble d’oeuvres de Darren Almond, Pierre Gonnord et Georges Rousse, également issues des collections du FRAC Auvergne.
Ces trois artistes ont en commun d’avoir bâti leurs oeuvres selon un principe de nomadisme qui, par les constants déplacements géographiques qu’il impose, leur permet de prendre la mesure du monde, de son humanité et de son histoire. Darren Almond éprouve la traversée physique des contrées gelées de Sibérie en quête des vestiges invisibles des goulags staliniens, dont il confronte la mécanique de travail forcé à celle du travail volontaire, mais non moins avilissant, des mules humaines chargées d’extraire le soufre d’un volcan de l’île de Java.
Pierre Gonnord recueille les histoires vécues de celles et ceux qu’il croise au fil de ses rencontres au sein des communautés marginalisées, auprès des laissés pour compte et des populations nomades. Si ses longues conversations avec celles et ceux qu’il photographiera demeurent indévoilées, les portraits magistraux qui en résultent délivrent une humanité profonde, sensible et intemporelle.
Georges Rousse parcourt le monde depuis des années, en quête de lieux propices à la création d’oeuvres qui se situent au croisement de la peinture, de l’architecture et de la photographie. Si sa pratique relève doublement de celle de l’arpenteur - arpenteur du monde, arpenteur de chacun des sites recevant ses anamorphoses - l’unique matérialisation de celle-ci demeure la photographie du lieu reconfiguré, avant que celui-ci ne disparaisse.
En définitive, ces trois artistes obéissent chacun à leur façon à un double principe d’arpentage et de révélation/dissimulation. Ce qui dans les oeuvres est dévoilé à l’issue du déplacement géographique de l’artiste, ne montre qu’une part de l’expérience vécue (les goulags ont disparu, les témoignages sont tus, le lieu ne dévoile qu’une part de lui-même). Il revient au spectateur de capter la part cachée, émanation sensible et mémorielle inscrite derrière les images.
Darren Almond arpente le monde pour y réaliser ses films et ses photographies. Les dizaines de clichés qui constituent la série Night+Fog montrent des forêts clairsemées, des arbres décharnés comme s’ils avaient été ravagés par un incendie, des paysages de neige sans qualité, plongés dans une morne grisaille. Nous ne sommes pas très loin de la mélancolie des peintures romantiques de Caspard David Friedrich et, pourtant, ces forêts sont celles qui environnent les villes sibériennes de Norilsk et de Monchegorsk qui accueillirent les plus vastes centres d’internement de prisonniers politiques de l’ère des goulags staliniens.
Dans ces camps furent mis aux travaux forcés plus de 300000 hommes et femmes, chargés d’extraire le nickel de ces sols qui sont les plus riches en minerai de la planète. Cette activité d’extraction s’est poursuivie après la fermeture du camp de travail et le rachat du territoire par la Norilsk Nickel Company, l’une des plus importantes compagnies minières à l’échelle internationale. L’extraction de ce minerai est l’une des plus polluantes qui soit en raison des tonnes de dioxyde de souffre qu’elle rejette. Cette zone géographique est actuellement l’une des plus polluées du globe : sa flore est littéralement brûlée et les 150000 habitants de Norilsk reçoivent chaque année plus de pluies acides que celles qui s’abattent sur l’ensemble des populations d’Amérique du Nord ou du Canada. Les conditions climatiques extrêmes – avec des hivers où la température chute régulièrement sous les -45° – et la pollution sont responsables d’une espérance de vie de dix ans inférieure à celle des autres Russes. Darren Almond a passé des mois à arpenter ces forêts carbonisées pour photographier ces contrées apocalyptiques.
Le titre de la série, Night+Fog, est une référence directe au documentaire Nuit et Brouillard, réalisé par Alain Resnais en 1955 sur Auschwitz. L’effort de guerre nazi exigeait une très importante production de caoutchouc qui nécessitait d’utiliser de très grandes quantités de sel. La région d’Auschwitz, très riche en mines de sel, était l’un des principaux sites d’extraction, rentabilisé par la main d’œuvre que l’on sait.
Pour Pierre Gonnord, la photographie ne constitue pas la finalité de sa pratique, essentiellement fondée sur la rencontre et le recueillement de témoignages d’individus marginaux, marginalisés ou appartenant à des communautés minoritaires - gitans de Séville ou de Perpignan, yakuzas japonais, paysans de Galice... Ces témoignages, obtenus au fil des conversations et d’un partage rendus possibles après des périodes de cohabitations souvent longues, ne sont néanmoins jamais rendus publics : demeurent les portraits photographiques éventuellement réalisés lorsque les protagonistes en ont donné l’autorisation au photographe. De ces portraits, éclairés d’une lumière que l’on penserait issue de la peinture classique espagnole, émane une grandeur humaine, une puissance affective et intime d’une extraordinaire beauté.
Pierre GONNORD
Krystov, 2008
impression quadri sur vinyle
Cadre: 165 x 125 cm
Collection FRAC Auvergne
Georges Rousse est peintre et photographe. Mais c’est la photographie qui constitue la part émergée, visible et sociale, de sa peinture. Depuis les années 80 en effet, il travaille dans des lieux abandonnés, condamnés soit à disparaître, soit à être réaffectés, et y réalise des peintures murales selon le principe de l’anamorphose : des formes abstraites, ou dispersées dans l’espace, se transforment en une figure aisément identifiable lorsqu’elles sont vues depuis un point précis, et seulement depuis ce point.
Ainsi, la photographie Tsho Rolpa, par exemple, montre une carte agrandie qui semble flotter dans l’espace, comme posée sur un voile tendu. Mais ce que nous croyons être une surface plane, à deux dimensions, est en fait un ensemble de peintures murales, aux murs, au sol et au plafond, un ensemble décousu qu’un seul point de vue, celui où se place l’objectif de l’appareil photographique, assemble et unifie. C’est donc la photographie qui rend compte de la peinture, une peinture qui du fait de sa situation est nécessairement éphémère. Cette photographie est l’image d’une peinture que nous, spectateurs, ne connaîtrons jamais : nous ne serons jamais à la place réelle de l’objectif du photographe pour faire l’expérience de la peinture originelle. Cette impossibilité d’atteindre jamais l’original (et dans un monde dominé par l’image, l’écart ne cesse de se creuser entre les originaux et leurs simulacres) Georges Rousse en rend compte dans son œuvre.
Georges ROUSSE
Tsho rolpa, 2000
Photographie contrecollée sur aluminium
Surface: 130 x 160 cm
Cadre: 128 x 163 x 5 cm
Collection FRAC Auvergne