“L’un, l’autre“ #1, 2009 ©Alisa Resnik courtesy galerie Sit Down
One another pourrait être l’histoire d’une nuit unique et interminable qui unit Berlin et Saint-Petersbourg.
Une nuit sans fin qui ne connaît pas la lumière de l'aube, qui s’étend sur des villes désertes et glisse dans des intérieurs aux moquettes et banquettes usées où, sur fond de rideaux et papiers peints délavés, des personnages passent, ou bien posent, devant et pour Alisa Resnik.
Parfois dans l’abandon ou l’absence, parfois défiant ou ignorant la camera, les protagonistes semblent jouer une pièce où se mêlent histoires déjà vues et énigmes policières. Défile alors une succession de solitudes, de visages marqués, de corps blêmes, seuls ou entrelacés, en équilibre au bord d’un abîme ou figés dans un cauchemar où la neuvième porte pourrait s’ouvrir d’un moment à l’autre.
Alisa Resnik photographie la vie et son reflet, la fragilité, la grâce, la mélancolie, la solitude.
D’un univers qui respire inquiétudes et angoisses, elle restitue une image où l’on ressent surtout son empathie profonde avec les personnes et avec les lieux.
Lieux dont elle affectionne, ou elle récrée en jouant de l’obscurité et de la pénombre, l’ambiance d’un vieux théâtre de quartier aux velours rouges ou les atmosphères à la David Lynch. Bars et couloirs d’hôtels vides, usines désaffectées, maisons qui semblent inhabitées malgré les fenêtres éclairées, arbres couverts de neige ou de guirlandes, interrompent et rythment le cortège des portraits. Ses images, nettes, se passent du recours au flou, rare, pour devenir des visions étranges et poétiques.
Le monde d’Alisa Resnik s’est construit au fil du temps et résonne de ses voyages et de ses rencontres : entre Est et Ouest, entre avant et après la chute du mur de Berlin, en élaborant les expériences des workshops avec Antoine D’Agata et Anders Petersen ou de la masterclass avec Giorgia Fiorio, ainsi que de sa rencontre avec la peinture classique en Italie.
Le spectre chromatique d’Alisa Resnik est fait des couleurs de l’obscurité, des rouges et des verts sombres qui absorbent les rares lumières et rappellent les tons tragiques du Caravaggio.
Ses damnés peuvent faire penser aux descentes aux enfers de D’Agata, son monde de la nuit renvoyer à celui du café Lehmnitz de Anders Petersen à Hambourg, repaire d’alcooliques, marins et prostituées, mais, au delà des références, le plus important dans le travail d’Alisa Resnik est cette écriture photographique envoûtante et capable de traduire un approche fusionnel et tendre vers les personnes rencontrées et photographiées.
Ainsi, One another ressemble au portrait d’un huit clos qui protège et rassure, plutôt que inquiéter.
Enfin, il ressemble à un portrait de famille, d’un cercle familial un peu maudit, peut être.. , mais où les liens demeurent.
Laura Serani – Commissaire de l’exposition
Série “L’un, l’autre“ #5, 2012
© Alisa Resnik courtesy galerie Sit Down
"Le temps est un avion à réaction, il se déplace à toute allure" et dans son vol impétueux, les gens et les choses qui se précipitent sous nos yeux sont sûrs de cacher leur essence intérieure. Dans ce temps infini qui s'écoule nous errons, avide d'un simple moment de sincérité.
La photographie est le moyen d'arrêter un moment et d'avoir une chance de regarder plus profondément la réalité indicible, d'aller au-delà de cette dichotomie généralement douloureuse entre le sujet et l'objet. C'est la manière de construire un abri sûr de sensations sur les sables mouvants de la rationalité, de se sentir comme chez soi en regardant par la fenêtre un train qui passe.
Paysages couleurs de plomb, usines en ruine, écho des salles vides, des vieilles pièces gardant toujours le subtil sentiment du passé, et les visages, les visages des gens… des regards furtifs, de petits gestes maladroits, des mains à la recherche d'un soutien, le chagrin ou la dureté dans le coin de l'oeil - ils sont tous comme des oiseaux prêts à voler de leurs propres ailes à la recherche de votre sympathie, dans l'espoir de sortir de la solitude.
Ces images se matérialisent dans les projections de nos souvenirs et commencent à vivre par elles-mêmes. Elles nous racontent des histoires que nous pourrions avoir vu de nos propres yeux. Elles combinent les couleurs et les formes avec nos rêves et nos sentiments, devenant une partie de nous-même, et nous sommes alors condamnés à y revenir encore et encore.
De cette errance à travers le monde entier, nous sommes à la recherche de moments que nous pourrions arrêter et transformer en vision, à la recherche d'une révélation, d'un miroir ... toujours à la recherche d'un miroir ...
Alisa Resnik
Série “L’un, l’autre“ #4, 2012
©Alisa Resnik courtesy galerie Sit Down
La série de photographies L’un, l’autre a fait l’objet d’une publication au titre éponyme qui a reçu en 2013, le prix de l’édition européenne de photographie. Il est publié en cinq langues chez cinq éditeurs différents : Actes Sud (France), Blume (Espagne), Dewi Lewis Publishing (Royaume Uni), Kehrer Verlag (Allemagne) et Peliti Associati (Italie).