© Robert Capa, Berlin 1945
Studio GwinZegal 3 rue Auguste Pavie 22200 Guingamp France
Depuis la première guerre de Crimée (1854–1856), contemporaine de l’apparition de la photographie, en passant par la guerre du Vietnam ou celle actuelle de Syrie, guerre et photographie, entretiennent un rapport étroit.
Traversée de l’Histoire, des archives du Musée Nicéphore Niépce sur la guerre 14-18, en passant par le Berlin de 1945 photographié par Capa, et les photographies de Laurent Van der Stockt sur le drame syrien, cette exposition est l’occasion de rappeler que c’est, à chaque fois, une part de notre humanité qui est mise en échec dans ces tragédies.
Dans le contexte des commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale et du 70e anniversaire de la Libération de la France, notre souhait est de proposer un parcours sensible à même de témoigner de l’engagement de photographes, génération après génération, à rendre compte des drames inhérents à la guerre.
A l’heure de la cyber-guerre, où il est possible « d’éliminer » à distance ceux que l’on considère comme « ennemis » à partir de drones pilotés comme dans des jeux vidéos, il était important de rappeler que, si la guerre s’incarne pour la plupart d’entre nous dans des représentations, parfois insupportables d’enfants, de femmes et d’hommes victimes de ces conflits, nous le devons à ces photographes qui ont conscience que c’est en étant au cœur des évènements qu’ils peuvent, au risque de leur vie, tenter de nous faire prendre conscience de la dimension insupportable de la guerre.
L’exposition n’a pas pour finalité de rendre compte des nombreuses problématiques qui accompagnent le rapport de la photographie et de la guerre, celle du point de vue, des conditions de production des images,
de leur usage, du contexte de leur réception, des difficultés de la représentation d’une réalité aux contours de plus en plus complexes à saisir et à définir, ni des questions de la manipulation, de la propagande, de la rétention d’images ... Les deux conférences que nous organisons ont pour objet, non pas d’apporter des réponses à toutes ces interrogations, mais d’enrichir notre compréhension de ce rapport complexe et ambivalent.
Robert Capa, Berlin / 1945
Robert Capa, correspondant de Life chargé de couvrir la Seconde Guerre mondiale, effectue fin juillet 1945 un séjour de trois semaines à Berlin, dans ce qui reste de la ville où à 17 ans il s’était réfugié en 1931, contraint de s’exiler du fait du régime autoritaire de son pays, la Hongrie. Lors de ce premier séjour, il s’inscrivit à la Deutsche Hochschule für Politikest mais, faute d’argent, abandonna et sera embauché comme apprenti développeur à la Dephot, une agence de presse où il apprend les rudiments du tirage et du développement. Il doit quitter Berlin en 1933 avec l’arrivée au pouvoir des nazis. Après avoir couvert la guerre d’Espagne, Robert Capa accompagne les troupes alliées du D-Day à Berlin. Les portraits des Berlinois qu’il réalise dans les ruines de la ville à l’été 1945, disent toute l’humanité du regard de celui qui, à de multiples reprises, a du fuir et s’exiler du fait de ses origines et de ses opinions.
De son vrai nom Endre Ernö Friedmann, Robert Capa est né le 22 octobre 1913 à Budapest (Hongrie) et est décédé le 25 mai 1954 en Indochine. Il est l’un des photographes de guerre les plus célèbres et a couvert plusieurs des grands conflits du XXème siècle.
Izis / Les Maquisards / 1944
Août 1944, libération de Limoges. Izis quitte Ambazac où il s’est réfugié pendant l’Occupation et rejoint les FFI à Limoges. Cantonné au standard téléphonique de la caserne Beaupuy, il assiste à l’arrivée des résistants après des mois de clandestinité et, impressionné, décide de faire leur portrait. Avec les moyens du bord - un appareil 9 x 12 cm, un papier blanc collé au mur, une fenêtre pour toute source de lumière - il photographie environ soixante-dix maquisards tels qu’ils lui sont apparus, regards déterminés ou fiévreux, mal rasés dans leurs uniformes de fortune. Exposés dès cette année-là à Limoges, ces témoignages marquent les premiers pas d’un photographe qui revendique ses choix et son point de vue, tel un auteur. Avec Robert Doisneau, Jean Philippe Charbonnier, Willy Ronis, Edouard Boubat ... il deviendra une figure marquante du courant de ce qu’il est convenu d’appeler la photographie humaniste française.
Le Chat de la série Les Maquisards © Izis, 1944
D’origine lituanienne (1911-1980), Izis, de son vrai nom Israëlis Bidermanas , a publié de nombreux ouvrages photographiques avec Jacques Prévert (Grand Bal du Printemps), Colette (Paradis terrestre), André Malraux (Israël) ... La Ville de Paris lui a consacré une grande rétrospective en mai 2010 à l’Hôtel de Ville.
Zdeněk Tmej / officier allemand blessé, photographie / Prague / 5 mai 1945
Le travail le plus connu du photographe tchèque Zdeněk Tmej (1920- 2004) reste Totaleinsatz, série réalisée au cours de sa détention comme travailleur forcé à Wroclav (Breslau) entre 1942 et 1944. La photographie présentée à l’occasion de cette exposition, et installée en grand format face à la série des maquisards d’Izis, symbolise, de manière brutale mais non dénuée d’empathie envers l’être humain ainsi représenté, la chute du nazisme. La photographie de cet officier allemand qui git appuyé sur un coude sur le rebord du trottoir, le regard perdu, est une méditation sur l’horreur et la vanité de la plus grande entreprise criminelle portée par une idéologie nauséabonde, un Etat et la grande majorité de ses citoyen(ne)s.
© Zdeněk Tmej / officier allemand blessé, photographie / Prague / 5 mai 1945
Laurent Van der Stockt / Syrie / 2013
Dans le quartier de Jobar, banlieue de Damas, aux côtés des rebelles de l’Armée syrienne libre, Laurent Van Der Stockt a été le témoin, avec le reporter du Monde Jean-Philippe Rémy, d’attaques au gaz chimique menées par les forces du régime de Bachar Al-Assad. «Six mois d’enquête et d’approche, pour quelques jours de prises de vue effectives. Entrer à Damas, et surtout en sortir, a été extrêmement long et compliqué, ça nous a pris plusieurs semaines. En Syrie, on en arrive à un moment limite, où les risques pour les gens qui te protègent sont difficiles à équilibrer avec le travail réalisé sur place. La série Ruines, réalisée à Jobar, présentée à l’occasion de cette exposition sous la forme d’une projection de diapositives, retrace les itinéraires empruntés par les combattants à travers les intérieurs des habitations bombardées durant des mois par l’armée gouvernementale, vides de leurs occupants, morts, déplacés ou émigrés. Les combattants utilisent les centaines d’ouvertures pratiquées dans les murs pour aller se battre, au plus près, contre le régime de Bachar el-Assad.
Laurent Van der Stockt est né le 29 juillet 1964 en Belgique. Avant le front syrien, le photographe a couvert de nombreux conflits – ex-Yougoslavie, Afghanistan, Tchétchénie, Koweït et Irak. Son travail lui a valu de nombreux prix : Prix Bayeux des correspondants de guerre en 1995, Visa d’Or à Perpignan en 2013, Prix Bayeux du web journalisme en 2013.
Ses reportages paraissent dans les grands magazines d’information, New York Times Magazine, Le Monde, Time Magazine, NewsWeek, The Independent Magazine, Stern, El País... Depuis 2013, il collabore régulièrement avec Le Monde, et s’est rendu en Syrie, en Centrafrique et au Sud-Soudan pour y témoigner des conflits en cours.
© Laurent Van der Stockt / Syrie / 2013
WikiLeaks / Collateral murder / 2010
Le 12 juillet 2007, deux reporters de Reuters, Saeed Chmagh et Namir Noor-Eldin, et plusieurs civils sont tués dans un quartier de Bagdad par les tirs d’un hélicoptère Apache. L’armée américaine déclare alors que deux journalistes ont été tués aux côtés de « neuf insurgés ». Le lieutenant-colonel Scott Bleichwehl, porte-parole des forces américaines à Bagdad, déclare : « Il n’y a aucun doute que les forces de la coalition étaient clairement engagées dans des opérations de combats contre une force hostile. » Reuters demande à l’armée américaine de faire une enquête sur ces décès, s’interrogeant sur le fait que les caméras embarquées dans les Apache ont été confisquées et demandant un accès aux vidéos enregistrées par ces mêmes caméras, un accès aux enregistrements audio entre les pilotes d’hélicoptère et les forces terrestres au sol ainsi que l’accès aux rapports de l’unité impliquée dans l’incident, en particulier un inventaire de toutes les armes prises sur les lieux. Le 5 avril 2010, une vidéo publiée par le site Internet WikiLeaks montre la scène vue depuis la caméra embarquée de l’hélicoptère, information jusqu’ici classifiée par l’armée américaine. Ce raid aérien est une bavure américaine durant laquelle au moins 18 personnes ont été tuées incluant les deux reporters.
La guerre 14-18 / archives du Musée Nicéphore Niépce
Les archives de la guerre 14-18 du Musée Niépce, présentées à l’occasion de cette exposition, est un hommage à ces hommes, pour beaucoup paysans arrachés à leur terre, qui ont vécu un véritable enfer pendant quatre longues années, dans des conditions, simplement impossibles aujourd’hui à seulement imaginer. Avec pour horizon la mort, la grande majorité des «poilus », dont il ne reste plus aujourd’hui aucun survivant, a vécu dans des tranchées, des abris sommaires... Les photographies présentées ne peuvent à elles seules rendre compte de cette réalité. Elles peuvent simplement nous laisser entrevoir quelques fragments d’une réalité intransmissible dans son essence profonde.
The faces of the american dead in Vietnam / Magazine Life, juin 1969
La parution de ce numéro de Life a frappé de manière si brutale l’opinion américaine qu’elle a probablement contribué à accélérer le processus de prise de conscience par une large part de la société américaine que le prix payé par sa jeunesse dans cette guerre du Vietnam était proprement insupportable.
Loin d’une prise de conscience politique et de la prise en compte de la souffrance du peuple vietnamien, c’est la réalisation soudaine qu’une grande partie de sa jeunesse perdait la vie dans un pays lointain et ignoré de la plupart des américain(e)s, qui a conduit la société américaine à rejeter la guerre du Vietnam. En publiant les portraits des soldats morts en un mois sur le théâtre des opérations, en donnant pour chacun des informations personnelles - nom, prénom, âge, les lieux d’où ils étaient originaires ... - le magazine a soudain donné à ce conflit le douloureux visage de la guerre.
Photographier la guerre
Les photographes de l’armée russe dans le conflit 39-45 / Livre, Édition Odéon Prague, 1975
Du conflit 39-45 on connaît surtout les images des grands photographes de guerre qui ont opéré aux côtés des troupes alliées, Robert Capa, George Rodger, Carl Mydans ... Le travail des « correspondants de guerre » qui accompagnent l’Armée rouge est beaucoup moins connu, si l’on excepte Yvegeni Khaldei et sa photographie du soldat russe plantant le drapeau rouge sur le Reichstag en ruine (1). La projection des photographies extraites du livre des éditions tchèques Odéon de 1975, est l’occasion de découvrir le travail de ces « correspondants de guerre » de l’Armée rouge qui opèrent au cœur même du conflit et ont produit des photographies d’une rare intensité, qui livrent de manière concrète la réalité crue de la guerre.
Ces correspondants de guerre ont pour nom, Alpert Max, Ananinova Alexandra, Michail, Baltermans Dmitri, Diament Rafail, Garanin Anatoli, Grebnev Viktor, Khaldei Yvegeni, Kudojarov Boris, Lipskerov Georgij, Redkin Mark, Rjumkin Jakov, Sanko Galina, Savin Michail, Schajchet Arkadij Samojlovic, Shagin Ivan Michailovic, Tomin Viktor, Trachman Michail, Ustinov Alexandr, Uzljan Alexandr, Yevzerikmin Emmanuel, Zelma Goergi.