© Mélanie-Jane Frey
C’est à un road-trip photographique dans une certaine Amérique mythique que nous convie Mélanie-Jane Frey. C’est aussi l’occasion d’un hommage, en même temps qu’une perturbation des clichés qui nourrissent la mémoire visuelle collective du grand ouest américain et des mégapoles des États-Unis.
En choisissant le procédé au palladium* pour restituer son voyage, la photographe choisit aussi de naviguer dans un espace-temps indéterminé, bien que ponctué de signes plus contemporains. Le rendu soyeux du palladium, teinté de nostalgie, les contours souples des images, tout concorde dans ce procédé à une perte de repères temporels, tout ajoute au trouble des sens et à une lecture rationnelle des photographies. Tout pousse à ressentir et non plus à comprendre.
Les images de Mélanie-Jane Frey ont non seulement à voir avec un parcours initiatique à travers l’Amérique, mais constituent ensemble le symbole d’un monde, qui, soumis aux bouleversements tant urbains que sociaux et à la vitesse de la technologie, reste profondément attaché à une histoire et à un territoire que l’on désire immuables. Un entre-deux temporel donc, mais aussi spatial.
Quelques emblèmes universels traversent la série « American Diary » : le drapeau américain flottant au premier plan devant le port de New York, le Golden Gate Bridge de San Francisco, la Monument Valley et la Route 66. Ils semblent pourtant se dissoudre et s’estomper dans un environnement visuel onirique, pour intégrer un univers à la fois plus absolu et pourtant plus intime.
Dans son appréhension, souvent floue ou trouble, d’une végétation soumise à l’aridité du désert, d’un soleil que l’on imagine implacablement assommant, Mélanie-Jane Frey invite à une pause, entre solitude et contemplation. Le temps traverse lentement mais inexorablement toutes ses images. Il s’accélère quand le périple de la photographe croise les villes, dont les images sont les seules traversées de présences humaines. Elles font office d’étapes, mais ne constituent pas le cœur de ce qui s’apparente à une oddysée.
Ce carnet de voyage est un dilemme, un aller-retour entre ce besoin de silence et sa crainte. Un silence qui porte en lui-même une angoisse. Ce chien perdu dans le désert, ne nous interroge-t-il pas et ne nous renvoie-t-il pas à nous même, à notre pusillanimité, à notre errance, à notre propre vacuité ?
Loin de l’anecdotique et de l’attendu où un tel périple peuvent conduire, les images de Mélanie-Jane Frey sont en suspension, laissant place à une future narration, à la possibilité d’une fiction. Sensible à la poésie du moment, « American Diary » brouille l’inconscient collectif en un temps ralenti, voire figé.
Les images indéfinies, frémissantes sont autant d’éveils progressifs de souvenirs enfouis, comme au sortir d’un rêve, ou sous l’effet d’une brume de chaleur.
Comme les distorsions d’un instant et d’un territoire. Ces photos oniriques, à l’esthétisme décalé, servent la vision personnelle et sensible de Mélanie-Jane Frey. La photographe partage avec nous le quotidien d’un riche voyage intérieur, nous invitant à prendre le temps de voir avec poésie, prendre le temps d’être avec soi-même, prendre le temps de chercher...
© Mélanie-Jane Frey
* Le palladium
Il s’agit d’un procédé alternatif utilisé par une minorité d’artistes photographes dont, au début du 20ème siècle, Alfred Stieglitz, Edward Weston et, plus récemment, Irving Penn.
Considérée comme l’un des summums de la photographie alternative, la platinotypie est un processus de tirage photographique breveté par William Willis en 1873, après de nombreuses expérimentations par différents photographes et scientifiques depuis 1830. Durant la première guerre mondiale, l’augmentation du prix du platine, alors utilisé comme catalyseur de produits explosifs, encourage la plupart des photographes à se tourner vers d’autres procédés photographiques, dont l’argentique, jusqu’à faire complètement disparaître les papiers de platine du marché.
Redécouvert en 1960-70, ce procédé alternatif est apprécié notamment pour sa gamme étendue de tonalités et l’unicité qu’il offre à chaque image.
La particularité de cette technique réside dans l’imprégnation des particules de platine finement divisées qui permet ainsi à l’image de se conserver aussi longtemps que son support.
Le procédé au palladium est une méthode de tirage par contact passablement lente, qui nécessite une forte lumière UV et des négatifs de la taille de l’image souhaitée. Le papier est sensibilisé par un mélange de sels ferriques et de chloroplatinite pour être ensuite mis en contact direct avec le négatif. Traitée, après son développement, dans une solution d’oxalate de potassium, de citrate d’ammonium ou autres révélateurs adaptés à la platinotypie, l’image est composée de palladium, ce qui lui donne une tonalité qui peut varier d’un noir froid métallique à un brun roux,
selon le mélange de métaux nobles.
A l’heure actuelle, les tirages platine et palladium sont de plus en plus prisés, particulièrement par les galeristes, les conservateurs de musées et les collectionneurs d’art qui les apprécient pour leur stabilité.