© Jérôme Deya
Galerie Fait & Cause Rue Quincampoix, 58 75004 Paris France
À mon corps dérangeant de Jérôme Deya
France - Pays-Bas 2013
Ce travail photographique est un hymne au corps « différent », au corps considéré parfois comme dérangeant. C'est avant tout un hymne aux émotions, aux sentiments, à ces amours souvent insoupçonnées et que l’on voudrait quelquefois interdire.
À chacun le droit de sentir, de s'émouvoir, d'aimer, croit-on. Autant de droits fondamentaux auxquels l’individu n’a pourtant pas forcément accès. Comme si chacun pouvait tout avoir, comme s’il suffisait de vouloir.
Ce travail se veut un hymne au corps que l’on évite ou que l’on cache. Ce corps tordu qui – comme tout autre – exprime sa sensualité, ses émotions, pour une ode à l’amour, réalité partagée par tous, quels que soient son apparence, son héritage, son handicap.
Dans une société où l'omniprésence des codes érotiques est une banalité quotidienne, le diktat de l’image est une constante à laquelle on ne peut échapper. Pourtant, à l'heure où nous sommes submergés d'images sur la sexualité, et que nous-mêmes les véhiculons, le corps de l'autre « différent » contrarie. Alors que les médias nous vantent sexe et caresses pour le bien-être de chacun... tous se réfèrent aux stéréotypes propres à notre époque et ne s’éloignent guère des standards existants. Il est peu coutumier de s'appesantir sur la différence. Le handicap est fui, occulté, et la sexualité des personnes handicapées taboue.
De par leur condition, mais aussi trop souvent parce que « ceux qui peuvent » – proches, personnel médical, ou même parfaits inconnus – ont choisi de leur imposer des limites, les personnes handicapées n'ont pas forcément accès à la sexualité. C’est ainsi qu’au nom du bien pour tous, de la bienséance, de la morale, la majorité bien-pensante dicte ce qui est convenable et ce qui doit être permis ou non. L’individu se retrouve dès lors dans un cadre de vie préétabli par les « bienveillants » et auquel on voudrait qu’il se conforme. Et le regard porté sur le handicap devient source de discrimination.
Rencontres passagères ou relations durables, ce reportage a été effectué avec le concours de divers couples. Parmi eux, certains n’ont pas la chance d’avoir trouvé de partenaire, et revendiquent malgré tout le droit à la sexualité. C’est ainsi que les images d’Aminata et Daniel, réalisées au Pays-Bas, apportent un éclairage distinct qui n’exclut en rien tendresse et attention.
Apparue dans les années 1980, l’assistance sexuelle reste un sujet tabou en France où les autorités l’assimilent à la prostitution... notamment parce qu’aucun cadre légal ne lui est accordé. Droit à la sexualité pour les uns, marchandisation des rapports sexuels pour les autres, le sujet fait débat et divise tandis que des formations très encadrées sont dispensées dans plusieurs pays d’Europe.
La situation des personnes handicapées n’est-elle que le reflet de la perception qu’un peuple a de ses semblables « différents »? Sous prétexte de corps « abîmés », les personnes handicapées auraient-elles moins de droits que les autres ? Leur accès à la sexualité serait-il secondaire ? Aurions-nous tendance à oublier qu'il y a une personne derrière un handicap ?
La véritable barrière entre personnes valides et handicapées est la plupart du temps dressée par les valides. Elle n’est en général justifiée que par des préjugés. Et lorsqu'ils s'effondrent, il ne reste que deux êtres face à face qui se découvrent... si semblables.
Dans ce reportage, il s'agit de poser un regard différent sur autrui. Ici les handicaps se dévoilent, là ils se font plus discrets... et les images se font moins gênantes. Preuve en est que tout est question d'appréciation.
Pourquoi, au fond, suis-je troublé par cette différence ? N’est-ce pas à moi de m’adapter ? Faire le premier pas, passer outre les modèles établis et les préceptes « vertueux », c’est le chemin que n’ont pas hésité à parcourir les personnes photographiées. Elles osent s'afficher pour défendre une cause qui paraît être la leur, alors qu'elle est celle de tous : l’amour n’est-il pas universel ?
Jérôme Deya
Effacés du monde de Mylène Zizzo
Ethiopie - Burkina-Faso 2013
© Mylène Zizzo
Effacés. Les gens que je photographie le sont à plusieurs niveaux : ils sont placés au dernier rang de leur société et sont souvent rejetés par leur communauté, car ils sont la preuve vivante d'une malédiction pour leur famille et pour leur village. Effacés aussi car la maladie dévore leur visage. Noma vient du grec numein : dévorer.
Ils sont nés pauvres et subissent les mauvaises conditions de vie qui en découlent. Ils sont donc plus fragiles et vulnérables devant toutes les sortes d’infections. Le Noma n’est pas assez reconnu et particulièrement des populations qui en sont les premières victimes aujourd’hui : les villages reculés du monde, où la pauvreté, la malnutrition sévère et le manque d’hygiène en sont les conditions de développement.
Le Noma existait encore en Europe jusqu'au début du XXème siècle. Des cas ont cependant été décelés pendant la deuxième Guerre Mondiale dans les camps de la Mort. Aujourd'hui, chaque jour encore, plus de 400 enfants de moins de six ans sont touchés par cette maladie qui dévore irrémédiablement leur visage. Quelques heures après les premiers symptômes et l’inflammation qui gangrène de manière foudroyante, débutant par la bouche, il est déjà trop tard ! Il détruit à la fois les tissus mous et osseux. Le Noma nécessite donc une prise en charge dès les premiers symptômes sans quoi il risque d’entraîner la mort pour 80% des victimes. 20% vivent avec un visage meurtri et un traumatisme important.
Les associations, qui travaillent principalement en Afrique, ont besoin de soutien. En Amérique du Sud et en Asie du Sud, où il est certain que le Noma existe, aucune association ne s'est encore créée pour aider les enfants qui meurent tous les jours dans l’indifférence. Lorsque j’ai découvert le Noma en 2012, je me suis aperçue que souvent, les associations qui œuvrent pour aider les personnes qui en sont atteintes présentent sur leur site des images qui illustrent trop brutalement l’horreur. Cela dessert l’objectif qui est de fédérer le plus grand nombre de personnes à la cause de cette maladie encore taboue en Europe. Etant très sensibilisée aux problématiques sociales et humanitaires en France et à l’étranger, mes sujets de prédilection portant sur des causes oubliées de l’actualité, il m’est apparu évident de travailler sur ce sujet. Début 2013, j’ai donc contacté certaines de ces associations pour les aider à faire connaitre leurs actions. C’est ainsi que de mars à mai 2013, j’ai suivi « Project Harar » en Ethiopie. Sa mission consiste à soigner des personnes atteintes de malformations au visage souvent dues à des maladies, dont le Noma. J’ai accompagné ensuite en novembre 2013, « Sentinelles » au Burkina-Faso. J’ai décidé d'aller à la rencontre des malades et de rendre compte de l'importance d’un travail qui permet aux victimes d’avoir un autre destin que celui que la maladie leur inflige. Je témoigne également de leur courage à faire face et je souhaite mettre en lumière l’engagement des médecins pratiquant l’acte chirurgical et réparateur dans les salles d'opération. Je souhaite donner une visibilité à ce qu’il est difficile d’affronter pour faire connaître le Noma au plus grand nombre, mais surtout, sensibiliser les populations locales afin d'améliorer la prévention et favoriser une prise en charge plus efficace pour les "petites victimes".
Comme on me l’a confié : « c’est déjà tellement bien de se retrouver avec quelque chose qui ressemble presque à un nez, de pouvoir desserrer les dents, ouvrir un peu la bouche... que malheureusement, ils ne sont pas toujours au rendez-vous de la prochaine mission quelques mois plus tard ». Ils pourront cependant, pour la plupart d'entre eux, retourner dans leur village avec de nouvelles perspectives de vie car enfin un autre regard sera porté sur eux.
Les personnes photographiées dans cette série sont soit des miraculées du Noma, soit atteintes d’autres maladies faciales.
Mylène Zizzo