© Jean Dieuzaide
Galerie Pinxit 2 place St Etienne 31000 Toulouse France
Les « fantaisies photographiques » de Jean Dieuzaide
« Jean Dieuzaide aimait les expériences, l’aventure et le risque. Il s’était forgé une réputation de reporter casse-cou en s’envolant, les pieds dans le vide, afin de magnifier le fuselage des avions ; en suivant des acrobates sur les épaules d’un funambule, au-dessus d’une foule retenant son souffle ; en inventant un boîtier facilitant la photographie sous- marine. Quand il célébrait les églises romanes, c’était à sa manière spectaculaire, grimpant sur des échafaudages pour approcher la lumière divine. Autant de faits d’armes qui n’empêchaient ni la réflexion ni la recherche. Souvent, la nuit, celui qu’on appelait alors Yan se retranchait dans son laboratoire et réinventait le monde. La chimie, il adorait ça. Le bricolage aussi, qui lui avait permis d’adapter le matériel professionnel à ses besoins d’artisan photographe. Retrouvons-le en 1958, dans son atelier situé au cœur de Toulouse. Submergé de travail, Jean Dieuzaide pratique souvent la « double journée ».
Il est presque minuit dans le studio qui jouxte l’appartement familial. Il a posé sa veste sur le dossier d’une chaise, remonté les manches de sa chemise – toujours blanche, toujours impeccablement repassée – et coincé sa cravate entre deux boutons. Depuis quelques mois, celui qui refuse énergiquement d’être qualifié d’artiste s’est lancé dans des « fantaisies photographiques » très influencées par le Bauhaus et la Subjektive Fotografie, par Laszlo Moholy-Nagy et Otto Steinert. Jean Dieuzaide s’amuse à donner une forme extraordinaire à des cristaux, des brosses à cheveux, des cactus ou des guirlandes en acier ondulé. Le gros plan est la règle, sublimé par un éclairage subtil et l’utilisation d’une chambre Linhof. Le photographe se souvient comment l’huile, dans l’eau, laisse des bulles et des traînées fascinantes.
© Jean Dieuzaide
Il cherche à reproduire le phénomène avec de l’encre verte et rouge, dans un aquarium dont l’occupant (la mascotte de chez Yan) a eu la fâcheuse idée de bondir trop haut, finissant en convulsions mortelles sur le carrelage. Jean Dieuzaide légende certaines images, évoque des « stalagmites », des « fleurs d’eau », des « jeux inversés dans l’eau » (les tirages sont volontairement présentés le bas en haut). Son préféré (l’étude n° 11) présente un fond brumeux, comme un tapis d’écume avec au premier plan une sorte de méduse aux filaments déployés. Le résultat obtenu est poétique et résolument dynamique.
C’est aussi un exercice très pragmatique, visant à tester un film Agfa révolutionnaire, qui peut être développé en noir et blanc ou en couleur. Ces recherches abstraites, exhumées pour la première fois en 2008 à l’occasion d’une exposition à Mérignac, près de Bordeaux, on les retrouve aujourd’hui, imprimées sur le délicat papier japonais Awagami. L’encre aquatique d’il y a 56 ans est reproduite par la technologie moderne du jet d’encre. Le rendu est soyeux, délicat, sensuel, respectant parfaitement le mystère de la création, l’exaltation d’un moment unique qui ne dura que quelques heures. Le lendemain, pimpant malgré une nouvelle nuit très courte, Jean Dieuzaide retournait dans le monde de la technologie conquérante; vers ses avions étincelants, ses usines flambant neuves, ses cliniques de béton spacieuses et lumineuses. Toujours guidé par sa passion de photographe total, renouvelant jour après jour l'écriture avec la lumière... »
Jean-Marc Le Scouarnec
Auteur de la biographie « Jean Dieuzaide, la photographie d’abord » (Contrejour, 2012).
L'exposition
A quelques mètres de la Galerie que Jacqueline et Jean Dieuzaide dirigèrent de 1976 à 1981, la Galerie Pinxit présente pour la première fois l’intégrale des encres noir et blanc de Jean Dieuzaide.
Les dix sept photographies tirées au format 40 x 60 en Piézographie sur papier japonais Awagami seront présentées encadrées avec un double passe-partout et une fine baguette grise, en harmonie parfaite avec les encres et avec le lieu.