© Alain Desvergnes
Le bleu du ciel 12, rue des fantasques 69001 Lyon France
Après des études de journalisme et de Sociologie puis Reporter et Critique d’Art à Paris, Alain Desvergnes a vécu 19 ans en Amérique du nord :
en 1963-65, comme « lecturer » à l’Université du Mississippi pour travailler sur W. Faulkner, (« Yoknapatawpha », Ed. Marval - 1989), puis en 1966 comme professeur associé à l’Université d’Ottawa où il crée le département d’Arts Visuels et en 1975 comme professeur agrégé à l’Université Saint Paul, département des Communica- tions Sociales.
En 1979 il rentre en France pour prendre la direction des « Rencontres Internationales de la Photographie » d’Arles jusqu’en 1982 où, à la demande du Ministère de la Culture, il crée l’Ecole Nationale de la Photographie d’Arles qu’il a dirigée pendant 16 ans.
Il a exposé dans de nombreux musées et galeries européennes et américaines. Ses photographies font partie de la collection de la Bibliothèque Nationale de France, de la Maison Européenne de la Photographie, du Center for Southern Studies, Mississippi U., du Canadian National Film Board.Depuis 14 ans il vit et travaille en Bretagne.
Correspondances faulknériennes
« Il y’a des météores dans l’histoire de la photographie, le travail d’Alain Desvergnes au début des années soixante, dans le territoire du Mississippi en est un. Pourtant Alain Desvergnes ne touchera pratiquement plus à la photographie dans les décennies suivantes, se consa- crant à d’autres tâches comme de reprendre la direction des Rencontres de Lucien Clergue pour le sixième anni- versaire, avec pour fonction principale d’inventer, en plus du festival, un centre de Recherche Visuelle. Ce centre dont il a été le maitre d’œuvre et maitre d’ou- vrage, est devenu en 1982 ‘Ecole Nationale’ via le Minis- tère de la Culture, où il restera jusqu’à la fin des années quatre vingt dix.
Cette œuvre vieille d’un demi siècle surprend au premier coup d’œil par sa modernité rayonnante. L’intemporalité qui en émane saute aux yeux tant l’esthétique de l’ima- gerie contemporaine est présente dans ces documents. Et c’est en observant ensuite les costumes des personnages, les devantures des rues et les automobiles que l’on se rend compte du passage des années et que la contextuali- sation documentaire, bien que présente, ne fonde pas le projet premier de l’auteur et n’est pas responsable de cette impression immédiate de modernité familière.
On ne perd pas de vue que le travail d’Alain Desvergnes ne se résume pas à une transcription parallèle, ou pis à une illustration de l’œuvre du grand auteur américain; on peut aussi et encore le regarder sans faire réfé- rence à son inspirateur. Il tient debout seul, trouvant son armature dans ce portrait documentaire d’un terri- toire des USA des années 1963-65, comme traversé par un climat serein dans une époque pourtant si troublée, qui voit l’assassinat de Kennedy, quand Desvergnes se rendait à une manifestation dans la cité. Après son départ, l’ou- ragan qui couvait se décharge avec l’élimination de Mar- tin Luther King, la montée en puissance du Black Power et des Black Panthers et toutes les manifestations violentes des Noirs et de leurs revendications contre la ségréga- tion raciale pour leurs droits civiques.
L’agonie du sud a commencé, sa renaissance se prépare comme celle de cette jeune photographie documentaire; les Noirs font de la musique et des barbecues au son du blues déchirant de Fred Mac Dowell, la clameur des nuées sourd en apnée dans l’atmosphère des vieilles bâtisses de bois blanc, qui s’immobilisent dans la chaleur torride et le vieil homme en habit noir s’éloigne dans l’horizon du champ désert.
Desvergnes arrive en Amérique à la charnière d’un monde nouveau, qui s’annonce dans les soubresauts encore la- tents qui mèneront à l’avènement de Barak Obama, pendant que Faulkner clôt dans son œuvre ce monde du vieux Sud
et de sa grandeur passée. C’est le paradoxe de ces deux œuvres qui les réunit, sans qu’elles se soient rencon- trées du vivant de leur auteur commun; prenant des direc- tions différentes, l’une photographique se tourne vers l’horizon de la liberté des Noirs, l’autre littéraire achève des histoires tragiques et trépassées, qui hante- ront encore bien longtemps les fantômes des Snopes, des Stupen, Gavin Stevens le procureur, du colonel Sartoris ou de Temple Drake, de Doc, et Benjy cet idiot plongé dans ce monde plein de fureur... »
Gilles Verneret directeur artistique
© Alain Desvergnes
...J’étais venu au Mississippi pour rencontrer Faulkner car après avoir lu en 1955, le premier de ses romans Le bruit et la fu- reur, j’ai tout de suite voulu aller voir ce lys si différent de l’Amérique que je croyais connaître et parler à son auteur. Alain Resnais m’apporte une parfaite formulation de cet attrait : quand on lui demandait pourquoi il aimait les «herbes folles», il répondait: «Parce que j’aime la réalité quand elle est un peu décalée».
Les personnages et le comté mythique de Faulkner m’avaient laissé une image d’herbes folles, cette impression d’austérité simple et sauvage qui cherche un perfectionnement spirituel tout en sachant que c’est improbable. Faulkner ajoutait : «we en- dure», nous résistons.
/.../ En 1958 Faulkner écrivait : « Nous acceptons l’insulte et le risque de la violence parce que nous ne voulons pas voir, sans rien dire, notre pays natal, le Sud, pas simplement le Mississi- ppi, mais le Sud tout entier, se détruire lui même, deux fois en moins d’un siècle, à propos du problème noir ». En moins d’une décennie, dans les années soixante, Martin Luther King, Edgar Evers ont été assassinés à Memphis et à Jackson. J.F. Kennedy a été assassiné au Texas mais quarante ans plus tard, Obama a été élu président du pays. Faulkner serait heureux de voir que, ap- paremment, ses compatriotes n’ont plus peur du noir. Quand je me promenais dans ses romans et parcourais les terres où ses per- sonnages allaient et venaient, c’est à dire dans les champs de coton, les carnavals Noirs, les églises Noires, les garages des Noirs (on les appelait des « shade tree mechanics »), j’étais comme dans une fête qui ne s’organisait pas, mais ne s’arrêtait jamais, une fête où Noirs et Blancs se côtoyaient sans trop se voir.
/.../ ce voyage pendant des mois à travers tout le Mississipi de- vait être initiatique à un double point de vue. C’est là que devait naître ma fille Guénola; c’est également grâce à ce pèle- rinage aux source d’un mythe «plein de fureur et de bruit ra- conté par un idiot et qui ne veut rien dire» que j’ai appris à photographier comme je l’aimais jusque là sans le savoir, à tra- vers le style d’un romancier qui écrit comme il voit d’une façon ininterrompue, en désordre, sans suite apparente, sans logique rassurante, sans retombées séduisantes mais où seule surnage l’insuffisance de la prise, mais jamais son insignifiance.
Alain Desvergnes